Metaclassique #111 – Mirer

Dans un best-seller de développement personnel intitulé La Méthode du Miroir, l’américaine Louise Hay érige le miroir comme un outil très pratique pour se dire des gratitudes à soi-même et, ce faisant, prendre en confiance en soi, aller plus loin qu’on n’avait jusque-là imaginer jusqu’à, ainsi de suite, devenir une version améliorée de soi-même. Devant le miroir d’une loge, avant l’entrée en scène, le pianiste peut se prêter à des introspections moins certaines de leur efficacité, peut-être pas moins méthodiques, mais sûrement pas aussi stratégiques. Et quand on joue à relier les miroirs entre eux, on pourrait voir que la main droite et la main gauche peuvent se poser en miroir l’une de l’autre sur le clavier, mais n’ont aucun intérêt à se confondre – l’anatomie du pianiste sur scène étant, depuis maintenant deux siècles, d’une asymétrie qui prête à tous les effets miroirs. Ceux-là sont devenus plus explicites et sources de jeux poétiques quand le pianiste Alexandre Tharaud a demandé au compositeur et dramaturge Jacques Rebotier de lui composer un spectacle, puis un concerto. Alexandre Tharaud et Jacques Rebotier sont les invités de ce 111è numéro de Metaclassique.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #110 – Mouiller

Entre la harpe et la guitare, la différence est qu’on pince les cordes de la première alors qu’on gratte celle de la second. Même si rien n’empêche en soi de pincer les cordes d’une guitare, de gratter les cordes d’une harpe ou encore de les frapper comme les cordes d’un cymbalum. Les typologies d’instruments restent tout de même attachées à des gestes : on souffle dans les instruments à vents, tandis qu’on tape les instruments à percussion. Et puis, il y a un instrument dont l’histoire et la réputation sont restées associées à l’étrangeté : l’harmonica de verre, que l’on frotte, que l’on fait vibrer et pour lequel on doit, avant tout : se mouiller les doigts.

Il pourrait alors y avoir un paradoxe : si le « doigt mouillé » est célèbre pour offrir une thermométrie aussi approximative qu’un pifomètre, c’est dans un contexte très scientifique qu’au 18è siècle, s’est développé l’intérêt pour un instrument qui se joue les doigts mouillés : l’harmonica de verre, développé par un scientifique, Benjamin Franklin, qui était aussi respecté pour ses succès diplomatiques. Tant est si bien que, pour faire une histoire de la musique aux doigts mouillés, il fallait cumuler un intérêt pour l’histoire de la musique, mais aussi l’histoire des sciences, mais encore, une histoire sociale genrée où le destin des femmes musiciennes est tellement dissocié de celui des hommes. C’est ce qu’a fait notre invité, Mélanie Traversier, dans un essai paru aux éditions du Seuil : L’harmonica de verre et Miss Davies.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #109 – Rattraper

En 1951, dans Les origines du totalitarisme, Hannah Arendt a défini le totalitarisme comme une politisation absolue de la société, un monde où tout est politique. La définition est si claire qu’elle est devenue un critère infernal : là où tout est politique, il y a donc totalitarisme. Le critère est alors si net qu’il peut même être manipulé à l’envie par les dictateurs qui n’ont plus qu’à garantir la liberté aux artistes de faire de l’art apolitique pour montrer, à travers leurs œuvres, la preuve qu’ils ne sont pas si totalement tyranniques. Dans le cas de la dictature franquiste en Espagne, les historiens de la musique retiennent l’image d’une vie musicale au ralenti. Mais en y regardant de plus près, il y a eu beaucoup d’activités musicales en Espagne : dans les années 50 et 60, des compositeurs qui ne se sont jamais défini comme franquistes ont tout de même pu travailler sous le régime de Franco et conquérir une reconnaissance internationale. Mais si, dans un régime totalitaire, tout est politique : est-ce que cette course à la reconnaissance doit être entendue comme une stratégie de contournement de la dictature ? À la suite de la génération de Manuel de Falla et Joaquin Rodrigo, des compositeurs nés autour de 1930, s’appellent Luis de Pablo, Cristobal Hallfter ou encore Juan Hidalgo : ils vont à Darmstadt, à Paris, défendent les tendances majoritaires de la musique occidentale savante du 20ème siècle : le dodécaphonisme, la musique électroacoustique comme autant de gages de modernité, d’universalisme, de manières de rattraper ce qui serait donc un retard de la musique espagnole sur la marche d’un monde qui veut se promouvoir en progrès. Pendant ce temps, face à des œuvres d’art contemporain qu’on lui présente comme révolutionnaire, Franco dit un jour : « Tant que les révolutions ressemblent à cela… », une phrase qui est devenue le titre du livre que notre invité, Igor Contreras, a publié aux éditions horizonsd’attente. Avec la partition de Jean-Noël von der Weid.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #108 – Mordre

Sorte de quadrille, la Tarentelle est une danse qui doit son nom à sa région d’origine, la Tarente, à moins qu’elle n’ait d’abord pris le nom de la tarentule, l’araignée dont la morsure est sensée pouvoir se conjurer par la danse de la tarentelle. En 1641, l’érudit Athanasius Kircher avait fait une typologie des tarentelles faite pour coïncider avec les types d’araignées, non parce que telle araignée faisait telle piqûre dont on espérait venir à bout avec telle ou telle danse conçue exprès, mais sans doute plutôt parce que, préventivement, on cherchait une danse capable de plaire à l’araignée… Et quand la médecine s’est mêlée au débat, on a même trouvé encore plus de types d’avis sur la question que de types d’araignées. Il y avait ceux qui pensaient que la morsure était venimeuse, pas toujours d’accord avec ceux qui pensaient que seule la musique la plus adaptée permettait d’en guérir. Sans compter ceux qui savaient bien que la morsure n’était pas vraiment dangereuse – puisque, si le venin était vraiment mortel, le fait de danser accélérerait sa propagation dans le corps. Mais au lieu d’un débat plus ou moins thérapeutique, ce qui lie tarentule et tarentulé se répand davantage dans un débat entre le mordu et lui-même. Leonard de Vinci disait : « La morsure de la tarentule fixe l’homme dans son propos, c’est-à-dire dans la disposition d’esprit où il se trouvait quand il a été mordu ». Dans ce numéro de Metaclassique, nous écouterons des extraits d’un entretien donné à La Radio Parfaite par la musicologue Juliana Pimentel qui a consacré une thèse aux tarentelles écrites en France, au 19ème siècle, pour le piano et nous échangerons avec la poète Suzanne Doppelt qui parle de la tarentelle comme d’« une ghost dance qui garde enfoui le secret de son geste muet », dans un livre meta donna paru aux éditions POL, qu’elle a commencé à écrire en regardant Taranta, un film ethnographique réalisé par Gianfranco Mingozzi en 1962, où l’on peut voir le rituel tarentiste dans les Pouilles.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #107 – Légitimer

Selon que l’auditeur de musique est appelé « mélomane », « amateur », « fan » ou encore « féru de musique », est-ce qu’il écoute un genre plus ou moins valeureux socialement ? Même si l’éclectisme généralisé fait comme si tous les genres étaient légitimes et tout le monde pouvait – voire devait – écouter de tout, il reste que le mot « mélomane » est bienvenu et très courant quand on parle d’un genre éminemment légitime comme la musique classique, là où le mot « fan » passe pour plus inapproprié, comme s’il connotait une musique moins consacrée comme légitime. Et justement parce qu’elles sont discutables et parce que ces représentations sociales s’attachent à telle ou telle manière de nommer ceux qui écoutent la musique, ce numéro de Metaclassique veut prolonger les questionnements ouverts par la théorie de la légitimité culturelle héritée de Pierre Bourdieu, en invitant deux chercheurs : la psycho-sociologue Elise Wong qui prépare une thèse sur l’image sociale des auditeurs de musique classique et, pour commencer, le sociologue Wenceslas Lizé qui, à propos de ces manières de qualifier les auditeurs selon les genres qu’ils écoutent, a enquêté sur les liens entre légitimité et appellations, en se demandant : peut-on être « fan » d’un genre légitime ? Autrement dit, est-ce que la légitimité d’un genre interdit – ou, du moins, appelle une certaine réserve à – employer un vocable qui connote l’idolâtrie ?

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #106 – Annoter

Attendant son entrée pendant que jouent les trombones (indiqués sur sa partition), un flûtiste caricature son collègue tromboniste en action.

Sur la partition de certains Préludes, Scriabine écrivait « Douloureux déchirant ». Alors que l’interprète peut être tenté d’y voir une indication de jeu et s’en saisir comme une demande du compositeur à donner à l’exécution de telle page des accents douloureux et déchirants, ces annotations peuvent rester à l’état de témoignage d’un état d’esprit. Au lieu d’être un seul document utilitaire qui permet à un interprète de retrouver les notes, les nuances, les indications du compositeur, la partition est donc un support qui s’annote. Clarinettiste à l’orchestre de l’opéra de Paris, Jean-Noël Crocq a publié Fosse notes, un livre album qui recueille des partitions où l’on peut lire des fragments de correspondance entre les musiciens de l’opéra directement sur leurs partitions, jusqu’à des considérations esthétiques sur la valeur morale de l’art lyrique. En dialogue avec Jean-Noël Crocq, nous accueillons deux compositeurs : Colin Roche et Frédéric Mathevet qui, l’un et l’autre, développent des rapports à la composition om la partition s’élabore poétiquement, plastiquement, et redistribue le temps musical en amont de la seule production du son. Plus que d’alimenter leurs processus créatifs, cette écriture investit le travail poétique de la partition en lieu et place de production musicale, au point qu’ils viennent de fonder la revue Documents où, solidairement, la musique se réfléchit par ces confections documentaires et s’y déploie.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #105 – Colorer

Dans un ouvrage sur la chromatique daté de 1786, L. Hoffmann rapportait le cas d’un Suisse, magistrat et peintre, qui colorait les sons des instruments : le son du violoncelle lui apparaissait indigo bleu, celui de la clarinette, jaune, la trompette rouge clair et le hautbois rose. Un peu plus d’un siècle plus tard, en 1898, Jean Clavière évoquait la synesthésie avec une hésitation terminologique riche en possibilités : il reconnaissait que l’audition colorée pouvait s’appeler hyperchromatopsie ou bien phonopsie ou encore pseudo-chromoesthésie. Là où on a commençait à impliquer le préfixe pseudo, c’est quand on a commencé à soupçonner que les phénomènes de synesthésie relevait donc du domaine des hallucinations. Dans un ouvrage entièrement consacré à l’audition colorée, de 1890, Ferdinand Suarez de Mendoza parle de « pseudo-protesthésie » pour désigner les « pseudo-sensations secondaires visuelles », mais encore de « pseudo-acouesthésie » pour les « pseudo-sensations secondaires acoustiques » et même de pseudo-gousesthésie » pour les « pseudo-sensations secondaires gustatives ». Là où les neurosciences du 21ème siècle ne classent plus tant les synesthésies par sens que par type de relation entre l’expérience et l’inducteur, selon qu’elle est additive, arbitraire, automatique, involontaire ou idiosyncrasique (Ruiz, 2014).

Pour creuser les effets de ces synesthésie sur la conception de la musique et la création musicale, Metaclassique est cette semaine installé dans les espaces musicaux de la Bibliothèque publique d’information, avec : la musicologue Violaine Anger qui signe aux éditions Delatour, l’essai Voir le son, la philosophe Antonia Soulez qui fait paraître – aux éditions Delatour également –, Les philosophes et le son et, tout d’abord, Corinna Gepner, qui a consacré une monographie au Père Castel aux éditions Honoré Champion, inventeur d’un clavecin oculaire qui sert de point de départ ou de pierre angulaire ou de clé de voûte dans les histoires des synesthésies musicales qui a d’abord en se posant en rival aux théories de Rameau.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #104 – Augmenter

Tant que possible, on pourrait vouloir augmenter son salaire, son patrimoine, ses responsabilités, son périmètre d’action. Au lieu de se laisser prendre par l’appât du gain et les logiques d’accumulation, on pourrait reporter ces logiques d’augmentation sur des matières plus artistiques. Mais le risque d’y perdre son âme ne s’en trouve pas forcément diminué. On connaît des artistes, des labels ou encore des émissions qui, croyant leur survie suspendue au marché, ne peuvent plus rien attendre de leurs arts qu’une augmentation de leurs audiences. Quand elle devient une valeur, l’augmentation peut être trépidante, exaltante autant qu’éreintante. Même si c’est encore par l’augmentation des possibles que l’on peut espérer trouver de nouvelles formes musicales et, avec elles, de nouvelles formes de liberté. En 2015, la violoncelliste Marie Ythier faisait paraître chez Little Tribeca un disque intitulé « le geste augmenté » où elle interprétait des pièces écrites pour violoncelle augmenté par l’électronique. Pour chercher par quel chemin l’augmentation de l’instrument par l’électronique se prolonger dans une augmentation de l’imaginaire musical jusqu’aux disques plus récents qu’elle a pu faire paraître, Metaclassique reçoit cette semaine la violoncelliste Marie Ythier, mais aussi le poète Charles Robinson.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #103 – Mûrir

On ne compose pas à 60 à 90 ans comme on compose à 20 ans. Si bien qu’en comparant des œuvres tardives avec des œuvres de jeunesse, on peut se faire une idée du poids de la maturité sur la musique et vérifier si les stéréotypes se confirment : si la fougue s’est tarie, si le poids de l’existence pèse, si l’amertume et les regrets finissent par se dissiper. Les musiciens qui ont travaillé toute leur vie ont nécessairement gagné en maîtrise de leurs outils, mais se sont aussi plus ou moins adapté aux évolutions de leur temps. Mais si on transpose ces questions à la Renaissance, dans un seizième siècle resté l’emblème de la rénovation, on doit d’autant mieux saisir comment peuvent se nouer la maturité des musiciens et la maturation plus générale que le langage musical peut trouver dans une époque. Alors, pour questionner l’art de mûrir en musique, nous accueillons la musicologue spécialiste de la musique de la Renaissance, Isabelle His et le directeur musical de l’ensemble Thélème, Jean-Christophe Groffe.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

P.U.R., 2020

Metaclassique #102 – Lepéniser

Parmi les bons vieux usages de la musique, il y a la propagande. Quand le disque a permis d’industrialiser les réseaux de distribution de la musique, certains militants politiques s’en sont donc aussitôt saisi pour arroser le monde de leurs idées, un peu plus largement qu’avec un simple porte-voix. C’est comme ça qu’avant d’être par cinq fois candidat aux élections présidentielles de 1974 à 2007, Jean-Marie Le Pen a connu une longue carrière d’éditeur phonographique. En publiant des discours du Maréchal Pétain ou encore des marches militaires, sa maison de disque – la SERP – a vite été repéré pour son ancrage idéologique. Mais comme par anticipation de ses stratégies de dédiabolisation et de brouillage des pistes idéologiques, Jean-Marie Le Pen a aussi édité des disques de gauche, comme une anthologie sonore du Front populaire ou encore une compilation de chansons anarchistes. Pour retracer l’histoire de la SERP, nous recevons Jonathan Thomas qui est l’auteur d’un essai paru aux éditions de l’EHESS, La Propagande par le disque. Jean-Marie Le Pen, éditeur phonographique.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #101 – Doubler

Dans une lettre au compositeur Carl Friedrich Zelter, le poète Wolfgang von Goethe écrit un jour, alors que le genre du quatuor à cordes était encore tout récent : « Nous entendons discuter quatre personnes intelligentes, nous pensons saisir des morceaux de leur conversation tout en découvrant quelque chose des spécificités des instruments. » L’analogie entre le quatuor à cordes et la conversation intelligente a suffisamment marqué les esprits des musiciens pour que leurs partitions s’agencent comme des questions réponses à la fois bienveillantes et profondes, une sorte d’idéal de l’échange constructif, pas loin d’une utopie sociale concrétisée. Par contre, l’analogie n’avait pas encore été saisi comme une occasion radiophonique pour inviter les quatre musiciens d’un même quatuor à doubler verbalement leurs parties, phrase à phrase. C’est à cette expérience inédite que nous avons invité les quatre membres du Quatuor Tchalik : en exclusivité pour Metaclassique, partitions sous les yeux, les violonistes Gabriel Tchalik et Louise Tchalik, l’altiste Sarah Tchalik et le violoncelliste Marc Tchalik nous offrent donc un doublage de leur enregistrement des deux quatuors de Reynaldo Hahn.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #100 – Cristalliser

Quand on écoute de la musique à la radio, on dit qu’on écoute de la musique. Mais quand on écoute un débat ou un documentaire, on dit plutôt qu’on écoute la radio. À moins qu’on dise qu’on écoute… les infos ! On peut évidemment en déduire que la musique est une chose très différente des infos, mais on peut aussi comprendre que la radio est aussi une chose bien différenciée des seules infos ou de la stricte musique. Si c’est un peu plus ou un peu moins que des infos, qu’est-ce que c’est ? Et ça, à force d’être préparée de manière particulière, la radio pourrait être une sorte de musique, est-ce qu’il lui faut une esthétique spéciale ? A moins que l’art radiophonique et les arts sonores qui s’ensuivent, sont à compter parmi les musiques expérimentales. Bref, à force d’interroger la musique par les moyens propres de la radio : Metaclassique célèbre son centième numéro en consacrant la question : à partir de quand la radio s’écoute, en tant que radio, comme de la musique. Pour cela, nous entendrons au cours de cette émission Gérard Pelé qui a fait paraître aux éditions de L’Harmattan, le livre Autour de l’esthétique expérimentale et nous serons accompagné pendant une heure par Loïc Bertrand qui a soutenu une thèse à l’Université Paris-Diderot dans laquelle il fait une archéologie des arts sonores.

Avec la participation d’Omer Corlaix.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.