Quand on fait l’histoire rétrospective de l’audio-naturalisme, on peut prendre pour point de départ Ludwig Koch qui, dès 1889, semble le premier à avoir approché un phonographe assez près d’un oiseau pour l’enregistrer. Dans l’idée de Ludwig Koch, le bon enregistrement du monde animal consiste donc à faire comme si on n’était pas là, comme si l’humain pouvait s’infiltrer dans la nature sans l’ombre d’une perturbation. C’est pourquoi les bruits de aéroplanes lui semblent parasitaires, même si l’oiseau ne fait peut être jamais aussi bien le bruit qu’il veut capter qu’au moment où passe l’aéroplane. Puisque l’aéroplane, dès lors, participait de l’excitation de l’oiseau. Dans le même esprit, tenu comme une figure tutélaire dans le domaine du field-recording, Bernie Krause va capter des sons de la forêt en faisant le moins de bruit possible et en s’éloignant au maximum de toute source de sons d’origine humaine. Et pour cause, il cherche depuis de longues années à s’échapper de ce qu’il appelle la cacophonie humaine pour mieux capter ce qu’il veut entendre comme le grand orchestre des animaux. Mais cette séparation entre nature et culture n’est décidément pas si intuitive, puisque en faisant entendre les field-recordings de Bernie Krause à des enfants, ceux-là reconstituent un imaginaire de la forêt, c’est-à-dire de conte, avec une maison et des humains jamais très loin et même pas toujours très menaçants.
Mais peut-être que dans cette histoire de l’audio-naturalisme, une fracture a discrètement commencé en 2017 quand, à la suite de l’élection de Donald Trump et de l’explosion des fake news, un étudiant américain, Peter McIndoe a lancé une théorie du complot ouvertement parodique intitulée Birds aren’t real, qui annonce à coup de pancartes, propagandes au mégaphone et autres conférences TED que les oiseaux ont tous été tués dans les années 1970 pour être remplacés par des drones qui ont pour mission d’espionner les citoyens pour le compte de la Maison-Blanche. Pour explorer les conséquences musicologiques de ce qui pourrait donc être un bouleversement dans l’histoire de l’écologie sonore, nous avons proposé aux étudiants de licence du département de musicologie de l’Université d’Évry de prolonger par la fiction radiophonique et pour Metaclassique, un partiel au cours duquel ils avaient commencé à imaginer ce qui pourrait arriver dans un scénario qui mettrait en scène dans une forêt un chasseur, un field recorder, un militant Bird aren’t real et un tape musicien.
Une émission produite et réalisée par David Christoffel.