Métaclassique #92 – Emballer

De l’histoire impressionnante d’une jeune pianiste hors du commun à la success story d’un virtuose dont le parcours est incroyable, les exercices d’admiration se focalisent sur les destins et les histoires avec superlatifs intégrés quelquefois plus que sur la beauté de l’art et les plaisirs de la musique. Et quand les commentaires sur la vie des musiciens sont pris dans une telle surenchère narrative, il n’est même plus toujours question de musique, le bal des destins exceptionnels finit par obstruer l’essentiel. Mais si la compétition des histoires extraordinaires doit commander le nouvel ordre artistique, comment en vouloir à ceux qui jouent le jeu pour essayer d’y survivre ? Quand, par exemple, un poète collabore avec un compositeur avec la ferme intention de monter en épingle un scandale, le récit des événements peut à son tour devenir stratégique et, par suite, basculer dans le storytelling, à moins qu’il ne cherche à le perturber. Pour faire entendre comment l’artiste devient l’emballage d’un art plus ou moins critique sur l’ère de l’emballage, nous avons organisé une rencontre entre Pierre Brévignon, qui vient de faire paraître Le Groupe des six aux Éditions Actes Sud et Christian Salmon, l’auteur de l’essai Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits aux Éditions La Découverte. 

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Métaclassique #91 – Ensorceller

On sait – à moins qu’on ne fasse que supposer – que les sorcières chantaient, suivaient un certain refrain, un certain rythme. Mais de là à parler d’une musique sorcière, même si c’est pour dire qu’on ne sait pas à quoi elle peut exactement ressembler, ce serait peut-être déjà aller trop loin. Dans Musique sorcière d’une certaineMeri Franco Léo, on pouvait lire en 1976 : « La musique des sorcières faisait partie d’un tout, d’une cosmogonie, et elle a subi la même répression que leur médecine, leur astrologie, et leurs savoirs. » Et c’est certainement par l’histoire de leur répression que l’histoire des sorcières est la mieux renseignée. Et pour cause : Si on n’a peut-être jamais vu en vrai une sorcière voler sur un balai, on a pourtant bien instruit des procès en sorcellerie contre des femmes auxquelles on a reproché, pour de vrai, de voler sur un balai. Pour démêler, tout en les croisant, les procès en sorcellerie du Moyen-Âge et les activités musicales de l’époque, nous recevons deux médiévistes : l’historien Maxime Perbellini qui termine à l’EHESS à Parais et à l’Université Libre de Bruxelles, une thèse sur les sorcières au Moyen-Âge et la musicologue Isabelle Ragnard qui enseigne à l’Université Paris-Sorbonne et au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris.

Avec la participation d’Omer Corlaix.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Métaclassique #90 – Attendre

Quand la musique commence une phrase, l’auditeur peut très vite imaginer comment elle va continuer. À ce moment-là, il y a au moins deux types d’auditeurs : ceux qui se réjouissent du réconfort éprouvé à l’écoute d’une phrase qui se poursuit comme son commencement laissait prévoir qu’elle se poursuive et ceux qui s’agacent de l’ennui provoqué par un déroulement si prévisible. Mais les choses ne sont pas aussi manichéennes, puisqu’il y a donc au moins deux types de compositeurs : ceux qui comptent sur le plaisir certain qu’ils fourniront aux auditeurs auxquels ils offrent ce qu’ils annoncent qu’ils leur font attendre et ceux qui mettent une part d’imprévu pour mêler dans leur musique un mélange d’inattendu et de surprenant. Mais au-delà même des humeurs des auditeurs et des dispositions psychologiques de celles et ceux qui écrivent la musique, il en va d’une question de langage : quelles sont les manières de fabriquer une mélodie qui laissent plus ou moins grande prise aux attentes mélodiques ? Y a-t-il des formes musicales plus faciles à anticiper ? Si oui, que peut-on déduire sur le compte de celles et ceux qui les préfèrent ? Pour répondre à ces questions, nous allons plonger dans les sciences cognitives, avec deux chercheurs du Laboratoire des systèmes perceptifs de l’ENS d’Ulm à Paris : Jackson Graves et Guilhem Marion.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Métaclassique #89 – Rebuffer

« Abbé mort en pré, au cul lis », soit « Habe mortem prae oculis » (« Aie la mort devant les yeux »)

Si vous devez dessiner un rébus pour faire deviner le prénom Sidonie, vous serez tenté, avant de dessiner un nid d’oiseau pour la dernière syllabe, de penser aux notes de musique « si » et « do » et dessiner une portée musicale avec les notes qui feront penser au début du prénom Sidonie. Le poète oulipien Georges Perec, avait poussé l’idée d’utiliser les notes de musique pour former des phrases intégralement chantables, dans un opéra intitulé L’art effaré qui, indépendamment de l’effarement annoncé, était strictement homophone avec la suite de 4 notes : la, ré, fa, ré.  Il s’agissait, en fait, d’un opéra pentaphonique, avec les 120 permutations permises par les cinq notes « do ré mi la si », avec un jeu de mot pour chaque permutation. Par exemple : la suite « la si mi do ré » laisse presque entendre « l’alchimie dorée », alors que les cinq notes dans l’ordre « ré si la mi do » a inspiré à Georges Perec, la phrase : « Rêche il mit la dose ». 400 ans avant l’Oulipo, ces jeux avec les noms des notes étaient très à la mode au 16è siècle, non pas pour faire de la littérature truculente, mais bien pour aboutir à de la très belle musique. Pour rentrer dans le dédale de ces rébus, énigmes et autres hiéroglyphes musicaux du 16è siècle, nous recevons le musicologue Guillaume Bunel qui enseigne l’histoire de la musique à l’Université Paris-Sorbonne et avec lequel nous allons composer un florilège de jeux avec les notes à la Renaissance, à commencer par une messe de Josquin des Prés intitulée « la sol fa ré mi », suivant un double sens qu’il nous a expliqué.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Métaclassique #88 – Improviser

Improviser est souvent défini par défaut.  Ce serait presqu’une manière d’éviter de composer. Ou, pour le dire plus positivement : une tentative de composer plus près de l’instant, plus en prise avec le temps de l’exécution. Mais là où la distinction entre improviser et composer est décidément asymétrique : au sens la composition se définit beaucoup plus couramment sans référence à l’improvisation que l’inverse. Pour entrer un peu plus à fond dans les ambivalences des passages de l’une à l’autre, nous recevons une musicienne qui, depuis qu’elle fait de la musique, passe de l’improvisation à la composition avec des allers et des retours qui ne peuvent pas se faire avec les mêmes personnes et aux mêmes moments, Eve Risser. Et puis, deux spécialistes de l’improvisation : Clément Canonne (CNRS/IRCAM) et Nicolas Dufetel (CNRS/IReMus) qui s’intéresse à l’improvisation de répertoire.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #87 – Mystifier

Antonio Stradivari au travail

Alors que la firme Native Instruments commercialise depuis cet été, un synthétiseur virtuel à partir d’échantillon d’enregistrement d’un violon Stradivari pour 199 €, rappelons-nous : Antonio Giacomo Stradivari est né à Crémone, dans le duché de Milan, en 1644. En 93 ans d’existence, il a produit quelques 500 instruments aujourd’hui surcotés, certains exemplaires pouvant être vendu aux enchères entre 30 ou 40 millions de dollars. À ce prix-là, il se dit que certains luthiers peuvent être tentés, quand ils ont à faire à un très beau et très bon violon moderne qui réunit toutes les qualités qui font la réputation et le prestige des plus fameux des anciens, de leur accoler une étiquette Stradivarius qui leur permettra de les vendre avec 1, 2 ou 3 zéros de plus. On pourrait toujours et encore se demander comment faire pour démêler le vrai du faux, séparer la réalité de la fiction. Mais cela reviendrait à ne pas voir l’essentiel, à savoir : comment est-ce que la réalité est bien obligée de s’adapter au mythe, à vivre avec et, surtout, à jouer avec lui. On se demandera alors comment, pour la dépasser, la réalité cohabite et doit surtout coopérer avec les jeux de mystifications qui continuent d’entourer ces instruments. Pour rentrer dans le détail de la cohabitation, nous sommes heureux de réunir, pour la première fois publiquement, Claudia Fritz chargée de recherche CNRS au sein de l’équipe Lutheries-Acoustique-Musique à l’Institut Jean le Rond d’Alembert de Sorbonne Université et Jean-Philippe Echard qui, diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Paris, travaille depuis vingt ans pour le Musée de la musique à la Philharmonie de Paris : d’abord comme ingénieur de recherche et aujourd’hui comme conservateur spécialiste des violons en général et des Stradivarius en particulier.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Métaclassique #86 – Douter

Être dubitatif, c’est un peu comme être perplexe : là où on ne veut engager aucune certitude, on peut miser sur le scepticisme pour rester prudent et attendre d’être sûr pour s’engager. Mais on prend alors le risque de laisser le doute s’installer, de s’enfermer dans le doute, de ne plus réussir à trancher, d’être vouer à l’hésitation sans fin. Le doute est constructif, à condition d’en sortir. Sauf que le doute n’est jamais complètement constructif quand il est maîtrisé, c’est-à-dire artificiel et, surtout, superficiel.

Amis de longue dates, défenseurs l’un de l’autre, nos deux invités : le compositeur Eric Tanguy et le philosophe Michel Onfray n’ont pas le même rapport au doute, de même qu’ils n’ont pas le même rapport au désir. Mais comme le thème du doute semble appeler bien des nuances, il n’est pas sûr que Michel Onfray parle du même genre de doute quand il évoque Descartes que quand il viendra à parler de ses propres doutes, au quotidien, là où Eric Tanguy ne doute pas exactement de la même façon selon qu’il parle de ses propres questionnements  qu’il imagine un compositeur tel que Jean Sibelius en proie à un doute qui bouleverse ses processus créatifs, comme pour mieux les renouveler.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Métaclassique #85 – Emouvoir

La puissance émotionnelle de la musique est indéniable. D’ailleurs, que la musique nous apporte de l’émotion est souvent la preuve de ses bienfaits. À moins, bien sûr, que l’on perde complètement le contrôle sur le type d’émotions dans lequel telle ou telle musique pourrait nous télécommander. On a alors au moins deux possibilités ; soit on aime le sentiment de perte de contrôle, soit on n’aime pas se sentir manipuler. Ce qui laisse tout de suite imaginer une troisième possibilité : avec toutes les émotions qu’elle nous apporte, on commence à aimer sa propre aliénation. Pour débattre du contrôle des émotions par la musique – et de l’amour de l’aliénation –, Métaclassique réunit cette semaine : Noémie Fargier et Hervé Vanel qui voient dans la double histoire de la musique d’ameublement et de la Muzak l’occasion de repenser comment une musique qui ne se donne pas à la contemplation, entend prendre le pouvoir sur nos humeurs, en offrant des musiques pour arrêter de fumer ou des astuces sonores empaquetées dans un programme de marketing sensoriel. Et puis, la philosophe Lena Dormeau se joindra au débat pour expliquer le rôle décisif des émotions dans la gouvernance néolibérale. Les articles respectifs des trois chercheurs réunis aujourd’hui sont tous les trois téléchargeables sur le site de l’émission, metaclassique.com à la page du 85è numéro, directement accessible en tapant « émouvoir » dans la case recherche.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Lien vers l’article de Lena Dormeau.
Lien vers l’article de Noémie Fargier.
Lien vers l’article d’Hervé Vanel.

Métaclassique #84 – Réfléchir

« Introspection » de Calder (1935)

Le 4 novembre 2002, le compositeur Jonathan Harvey se demande : « Dois-je vraiment m’en tenir de façon servile à mon propre plan ? Qu’ai-je à faire d’être conséquent avec moi-même ? Et que signifie au fond cette rigueur ? Et qu’est-ce qu’elle a à faire avec la musique ? Avec ma musique[1] ? » En 2007, la compositrice Chaya Czernowin donnait une conférence qui se terminait par cette réflexion au sujet des compositeurs contemporains : « nous ne sommes peut-être pas seulement des émissaires, contemplant le présent en comparaison d’un passé », « nous avons aussi pour rôle d’être une sorte d’appareil digestif mental, un subconscient élargi, à l’intérieur duquel difficultés et matériaux contradictoires sont élaborés par l’entremise de rêves, et sont également examinés, soupesés, en préparation de l’avenir[2]. » Il semble y avoir au moins autant de manières de réfléchir à la composition qu’il y a d’individus qui composent. D’autant qu’un musicien n’est pas toujours fidèle, dans ses manières de composer, à ses propres manières de réfléchir. En plus – et tant qu’à bien y réfléchir : les questions de réflexion sont-elles seulement des questions de manière. Et, au lieu d’aider la pratique, les détours réflexifs ne risquent-ils pas, une fois sur deux ou plus souvent qu’il n’est peut-être souhaitable, de faire bifurquer le parcours artistique des compositrices et des compositeurs et, pourquoi pas même, les perdre dans leurs cheminements. Pour en débattre, nous recevons Nicolas Donin qui a publié aux éditions Droz Un siècle d’écrits réflexifs sur la composition musicale, une anthologie d’auto-analyses de Janáček à nos jours, des auto-analyses réunies par le musicologue à qui Catherine Perret donnera la réplique, depuis les réflexions sur la réflexion artistique qu’elle a pu développer dans l’essai Les porteurs d’ombre, paru chez Belin en 2001.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.


[1] Un siècle d’écrits réflexifs sur la composition musicale, Droz, 2019, p. 626

[2] Ibid., p. 630.

Métaclassique #83 – Intimider

L’enseignement musical est là pour épanouir les talents. Les cursus sont pensés pour aider les musiciens à rendre leur travail porteur, à orienter leurs efforts vers des réalisations rayonnantes. Et pourtant, bien des étudiants des écoles de musique voient leur parcours d’étude jalonner d’intimidations, quand ce n’est d’humiliations. Les rapports avec les enseignants ne respirent pas tout de suite – et parfois pas du tout – le rayonnement et le plaisir. C’est bien à une histoire de l’intimidation dans l’enseignement de la musique que vous invite Métaclassique cette semaine, avec deux historiens de la musique : Rémy Campos qui enseigne non seulement au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris et à la Haute Ecole de Musique de Genève et la musicologue Marie Duchêne Thegarid qui s’est spécialisée dans l’histoire de l’enseignement musical en France. Et puis, nous entendrons aussi les témoignages de deux artistes : la compositrice Edith Lejet qui a suivi, dans les années 60, la classe de composition d’André Jolivet, et la chanteuse Karine Deshayes qui a participé à la master class de l’une de ses idoles connues pour être impressionnantes, Régine Crespin. Comme les formes en sont plus révélatrices quand elles ont pris la patine des années, nous allons essentiellement explorer des situations du 20è siècle, à l’époque où le Conservatoire national de musique était rue de Madrid, à Paris. C’est là que commence notre enquête, avec un document d’archive que l’on peut trouver dans le documentaire D’un conservatoire à l’autre conçu par Rémy Campos en 2019 et que vous pouvez visionner sur Metaclassique.com.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

« D’un conservatoire à l’autre », un documentaire de Rémy Campos.

Métaclassique #82 – Vivre

Le compositeur autrichien Gustav Mahler et sa fille à Vienne (vers 1907), © Getty / Imagno / Coll. Hulton Archive

Pour parler à tout le monde, la musique doit dépasser la vie de son créateur pour toucher à ce qui, en elle, est traversé de sentiments universels, par exemple. C’est pourquoi la biographie d’un compositeur ne peut présenter qu’un petit bout de la lorgnette de ce que sa musique peut porter. Pour réussir à énoncer ce qui, dans la vie du compositeur Gustav Mahler, tremble jusqu’à pouvoir bouleverser la vie de tout un chacun, le chef d’orchestre et compositeur, mais aussi directeur artistique de la Mahlerian Camerata, Benjamin Garzia a publié aux Éditions de l’île bleue, une biographie romancée de Mahler : L’instrument dont jouait l’univers. Un livre qui lui permet d’enrouler la vie musicale de Gustav Mahler dans ce que la musique peut, au-delà de son cas, sublimer le souffle de la nature. C’est dans ce même esprit que Marina Mahler, la petite fille du compositeur, viendra témoigner de l’importance de porter aujourd’hui le message d’humanisme panthéiste de Mahler par les initiatives de la Mahler Foundation et la puissance de réconfort et d’ouverture qu’elle prête à la musique de son grand-père.  Avec la participation d’Omer Corlaix.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Métaclassique #81 – Re-recorder

Quel est le point commun entre une Sonate pour cor de Beethoven, les Pygmées de Centrafrique, Herbie Hancock et György Ligeti ? Chacun a pu bénéficier de la curiosité du corniste et ethnomusicologue Simha Arom. Alors qu’il est arrivé en Centrafrique au début des années 1960, il a été très impressionné par les polyrythmies des chants des Pygmées. Et comme elles étaient trop complexes pour les transcrire sur du papier à musique, il a utilisé des enregistreurs stéréo en recourant à la technique du re-recording, pour pouvoir les enregistrer en parties séparées. Ce qui lui a valu d’être surnommé par Steve Reich « l’homme qui a mis un casque sur la tête des Pygmées » et de voir ses enregistrements récupérés par de grands compositeurs du 20è siècle comme Luciano Berio ou des popstars comme Madonna. Alors qu’il fête cet été son 90è anniversaire, Simha Arom nous a reçu pour retracer ses inventions et ses découvertes au micro de Métaclassique. Tout commence donc, à la fin des années 50 : Simha Arom n’a pas encore trente ans et il est cor solo de l’Orchestre Symphonique de Jérusalem.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.