Le contrepoint, c’est l’art de composer en superposant des dessins mélodiques, dit le moteur de recherche. L’exemple parfait est donc la fugue qui fait fuir le thème d’une voix à l’autre – avec l’exemple de L’Art de la fugue de Bach, qui fait office d’emblème canonique quand on parle de contrepoint. Mais au-delà de la musique, le mot « contrepoint » peut s’employer au figuré pour parler d’un motif secondaire qui se superpose à quelque chose. Pour explorer la musique de Bach en sortant de Bach, nous avons proposé aux étudiants de Master du département de musicologie de l’Université d’Évry, de superposer une musique de Bach avec une autre et de s’interroger les uns les autres sur les bonheurs et les heurts de ces enchevêtrements que l’on peut aussi bien appeler des « mash-up ».
Là où l’adage promet que la musique adoucit les mœurs, les étudiants des conservatoires semblent assez tôt appelés à servir la concorde nationale. Mais si les musiciens sont ainsi mobilisés pour construire la paix sociale, cela ne va pas sans poser beaucoup de questions. Ce sont celles qu’a voulu soulever le compositeur Maël Bailly, à qui nous avons offert la production et la réalisation intégrale de ce 68è numéro de Métaclassique. Etudiant au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, Maël Bailly mène des actions éducatives, tout en se posant un certain nombre de questions sur la fonction sociale et politique de ces dispositifs. Et pour partager ces interrogations, il a échangé pour Métaclassique avec certains de ses amis étudiants, Rémi, Irène, Arthur, Lisa, Marie et, pour commencer, des compositeurs enseignants au CNSMD de Paris, par ordre d’apparition : Frédéric Durieux et Alexandros Markeas.
La dernière fois qu’on vous a dit qu’il ne fallait pas comparer l’incomparable, à la décharge de votre inquisiteur : vous aviez peut-être poussé le comparatif jusqu’à la provocation en rapprochant la vitalité de la musique d’Offenbach avec le coup de fouet que peut donner telle ou telle boisson énergisante. La comparaison était ô combien sacrilège vis-à-vis de la référence la plus patrimoniale, mais elle avait quand même le mérite étonnant de forcer les amateurs de l’un à préciser ce qu’ils appréciaient tellement chez lui : ou à reconnaître que les vertus de l’autre peuvent bien paraître quelquefois un peu détonantes… Mais, de toute façon, il n’est que trop rébarbatif de comparer ce qui est comparable. Cela peut virer à l’endogamie et pourrait même aller jusqu’à comparer ce qui est carrément la même chose et aboutir à des impossibilités logiques. Tout ça pour dire que ce numéro de Métaclassique va consister à comparer l’à-peine comparable : deux compositeurs qui ont rencontré le succès à la même époque, en œuvrant dans des genres voisins et dans des styles plus ou moins opposés : Rossini d’une part, défendu par Tom Mébarki et Beethoven d’autre part, défendu par Elisabeth Brisson.
Dans Les mondes de la médiation culturelle paru chez L’Harmattan en 2016, la chercheuse Christine Servais, spécialiste des théories de la réception, cite le philosophe Jacques Rancière qui pointait l’efficacité paradoxale des œuvres qui peuvent avoir « un effet parce qu’elles peuvent ne pas en avoir ». D’où l’idée qu’un processus de médiation s’inscrit « dans un cadre où rien n’assure l’entente a priori , où le malentendu doit toujours être possible ». Si on poursuit le raisonnement, on pourrait imaginer qu’on se donne plus de chances de faire médiation en assumant le conflit qui pourrait avoir lieu entre la musique que l’on propose de faire découvrir et l’imaginaire de ceux à qui on vient à la faire entendre. C’est donc bien à titre d’exercice de médiation musicale que nous avons proposé à des étudiants du master Musique et Sciences Humaines des Universités de Tours et Poitiers d’imaginer des situations de conflits – ou, du moins, de confrontations – autour des répertoires objets de leurs recherches musicologiques à mettre en scène sous formes de fictions radiophoniques pour Métaclassique – autant de situations radiodramatiques qui ont dû être enregistrées en confinement, ce qui explique qu’un certain nombre laissent imaginées un coup de téléphone.
On dit qu’il y a de l’harmonie là où des sons concordent, vont bien ensemble. Il suffirait de vouloir se faire enrober de concordance, pour faire de l’harmonie une sorte de graal pour l’auditeur. Mais pour que les sons concordent, il faut que les musiciens respectent quelques dispositions techniques précises. Et si les règles de consonances peuvent permettre de bien faire résonner certains sons dans les harmoniques des autres, le fait est que l’harmonie n’a jamais été aussi idéalisée en musique qu’elle était thématisée quasi scientifiquement par les philosophes. Comme si la consécration harmonique de la résonance était une question d’antiquité, héritée de Pythagore, revigorée au 17ème siècle. Pour faire résonner la question résonante de la musique à la philosophie, cette émission tresse deux entretiens : avec le directeur musical de l’ensemble Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre, d’une part, et avec une essayiste à l’origine d’un cycle de cinq volumes consacrés aux Métaphores des cinq sens dans l’imaginaire occidental, Corinna Coulmas d’autre part. Deux conversations à écouter enlacées dans les enregistrements du coffret paru à l’occasion du 20ème anniversaire du Poème Harmonique.
Si on « joue » de la musique, c’est qu’il
doit y avoir autant de manières de jouer de la musique qu’il peut exister de
jeux. Le pédagogue Jean Piaget distinguait 4 types de jeux : dans sa
classification ESAR, il y a les jeux de E comme Exercice (qui vont de l’éveil
sensoriel aux jeux de manipulation et de motricité), il y a les jeux S comme
Symboliques (comme les jeux de rôle, de mise en scène ou de représentation),
les jeux de A comme Assemblages (c’est-à-dire les jeux de constructions,
d’agencement, d’expérimentation) et les jeux de R comme Règles (qui englobent
aussi bien les jeux d’association, de parcours, de combinaison, d’adresse, de
hasard, de questions-réponses…).
Dans le Manuel de pédagogie musicale qu’elle vient de faire paraître aux éditions Minerve, l’artiste sonore Andrea Cohen essaye de démultiplier les approches en combinant les différents types de jeu et en imaginant des points de contact avec son univers musical qui s’étend de la création radiophonique au théâtre musical en passant par les musiques mixtes.
Alors, comme Métaclassique aime bien se prêter au jeu, nous écouterons les projections zodiacales des élèves de seconde du Lycée Claude Gelée à Epinal qui, dans le cadre d’une semaine culturelle (quelques jours avant les mesures de confinement), ont confronté leur sentiment de plus ou moins ressembler à leur signe astrologique à leur impression de plus ou moins ressembler à la musique associée à leur signe dans Tierkreis – un cycle de 12 mélodies – une pour chacun des signes du zodiaque, composée par Karlheinz Stockhausen qui était lui-même du signe du Lion.
NOTA BENE : Parler des caractéristiques de son signe astrologique, c’est pas tout à fait, mais c’est quand même parler de soi. Écouter une pièce de Stockhausen qui fait référence à son signe astrologique, cela pourrait permettre de vérifier que l’analogie est artificielle, mais comme il est plus intéressant, ne serait-ce que pour jouer, de se projeter, il suffit d’essayer pour que l’effet miroir déforme et donc informe de quelque chose. Alors, écouter la musique de Stockhausen pour vérifier si c’est bien de soi-même dont on a parlé, n’est peut-être pas la plus pure des raisons de lui prêter gare, c’est peut-être pourtant la meilleure des raisons, pourvu qu’elle soit toujours plus reluisante que l’idée qui revient à s’accoutumer à l’indifférence générale à force de se féliciter de faire feu de tout bois, à force de prétexter que toutes les raisons sont bonnes.
Est-ce qu’une expérience musicale vous a déjà exalté,
submergé, perturbé ou remis en question ? Si oui, est-ce que vous pensez
que cette expérience est partageable avec d’autres personnes ?
L’impression de grandeur que vous avez ressentie est-elle liée à la complexité
de la musique ? a-t-elle été une stimulation pour l’imagination ou un défi
pour l’esprit ? s’est-elle accompagnée d’un sentiment de petitesse ?
Autant de questions extraites d’un questionnaire sur le ressenti lors d’une
expérience musicale établi par des chercheurs venus de la philosophie pour les
uns, de la psychologie et de la musicologie pour les autres – réunis dans un
projet interdisciplinaire autour de la question : à quoi renvoie le
sentiment de sublime en musique ?
Le Centre de Recherche sur les Arts et le Langage de l’EHESS, l’Institut Jean-Nicod et le laboratoire MC2 ont donc monté ensemble un projet de recherche SublimAE pour renvoyer la question à un maximum d’auditeurs. Alors qu’ils étaient en train d’éplucher les résultats avec Marco Sperduti, ils ont accueilli Métaclassique avec, par ordre d’apparition, les philosophes Margherita Arcangeli et Jérôme Dokic, la psychologue Amélie Jacquot et le musicologue Esteban Buch qui, après un premier tour d’horizon des questions soulevées par le sublime en musique, réagiront dans la seconde partie de l’émission, aux réactions au questionnaire des élèves de la classe d’esthétique de Delphine Chomel au conservatoire Frédéric Chopin.
Comme il y a des œuvres qui – manifestement – n’ont pas été
terminée par leur compositeur, rien n’empêche d’autres compositeurs de chercher
à les achever… Est-ce qu’il faut alors être fidèle au style du compositeur
qui n’a pas fini l’œuvre ? Est-ce que la fidélité à ce qu’on comprend de son
style ne risque pas de le tirer vers la caricature de lui-même ? Et avant de
savoir si l’attribution demande révision ou correction, est-ce que
l’inachèvement ne devrait pas, d’abord, nous dissuader de vouloir à tout prix
qu’il s’agisse, en effet, d’une œuvre ? Si on ne sait pas toujours
pourquoi il n’a pas fini telle œuvre, on ne sait jamais ce qu’il aurait fait
pour justement ne pas l’avoir fait. Et comme c’est une bonne occasion de sortir
de ses manières de produire de la musique, boucler les partitions inachevées
des autres n’est donc pas une mauvaise occasion d’essayer encore d’autres
manières que celles qui, dans leur inachèvement, visait peut-être une
suspension partiellement volontaire, mais éventuellement à dessein. C’est
pourquoi l’envie de parachever les œuvres des autres n’a même plus de raison de
s’arrêter aux partitions inachevées. Et pour cause : il y a des œuvres qui sont
tout à fait terminées, qui ont tout l’air d’être accomplies, pleinement
épanouies, au point de pouvoir, elles aussi, donner envie de s’amuser à les
re-parachever.
C’est la deuxième fois que Métaclassique s’installe à la Bibliothèque publique d’information avec une formule originale : inviter le pianiste Nicolas Horvath qui fait paraître un disque au concept original : avec des œuvres inachevées de Debussy « complétées » – et pourquoi pas dire – « parachevées » par Robert Orledge – et, inviter, avec lui, tous les contributeurs du livret : à savoir, dans l’ordre d’apparition dans l’heure qui vient : le philosophe Yannis Constantinidès, la psychopathologue et victimologue Marie-Lise Babonneau et le compositeur Régis Campo.
Plus on a de mots, plus on peut développer de pensées. C’est l’hypothèse Sapir-Whorf : l’anthropologue Edward Sapir et le linguiste Benjamin Lee Whorf ont imaginé que les civilisations adaptaient leurs vocabulaires à leur mode de vie. Le renversement de l’hypothèse voudrait qu’on pourrait donc avoir une vie émotionnelle plus riche si on multipliait les mots pour varier les nuances d’émotion dont on est capable. Partant de cette hypothèse d’un rapport entre la richesse des idées et la richesse du vocabulaire, nous avons proposé aux étudiants de la classe de culture musicale du CNSMD de Lyon, de s’improviser académicien d’une commission imaginaire de néologie musicale et de chercher les nouveaux mots nécessaires pour parler de phénomènes musicaux qui, faute d’un vocable adapté, ne sont que trop rarement évoqués à la radio. Lara Bader, Nathan Magrecki, Maxime Marchand et Gilles Veysseire se sont donc prêté à l’exercice – dont les meilleurs moments retenus pour ce numéro de Métaclassique, vont être commentés par un spécialiste de la néologie de bonne humeur et, plus spécifiquement, des mots-valises joyeux : l’auteur Alain Créhange.
Parmi toutes les guerres d’autorité qui ont scandé
l’histoire de la musique, il est une anecdote : en 1957, Maria Callas est
invité à l’Alliance française à Chicago à donner un grand concert, sous la
direction de Karl Böhm. Au cours des répétitions, la diva se permet quelques
remarques sur l’exécution de certains passages, à quoi le chef Böhm lui a
répondu : « Je suis un chef d’orchestre, pas un
accompagnateur. » Comme si : un accompagnateur était moins musicien,
comme s’il devait rester au second plan dans la hiérarchie des estimes
musicales.
Pourtant : quand le Trésor de la langue française définit le verbe « accompagner », la notion de second plan n’apparaît pas du tout. Accompagner, pour le dictionnaire, c’est : se déplacer avec un être animé. Et pour montrer ô combien cela peut être important : les significations du verbe accompagner, il est dit que : « Généralement, l’idée de déplacement est précisée par une indication de but ». Accompagner peut alors revenir à honorer une personne, servir de protecteur ou de guide, servir de compagnon ou, encore rendre les honneurs funèbres à un défunt. Bref, accompagner est toujours très important. Alors même si le pianiste Robert Sutherland est beaucoup moins connu que Maria Callas, même si Gérard Jouannest est beaucoup moins connu que celui qu’il accompagnait (Jacques Brel), nous avons rencontré : un violoncelliste qui, après son prix du Conservatoire de Paris en 1960, n’a jamais cherché à être soliste. Paul Boufil a développé une telle passion pour le quatuor à cordes qu’il a toujours préféré la musique de chambre. Il nous a reçu dans son appartement de Levallois, dans l’immeuble même dans lequel a vécu, il y a 115 ans, le compositeur Maurice Ravel. Mais avant de donner la parole au violoncelliste, voici l’extrait d’une leçon donnée par son maître, André Navarra, à la télévision.
En 1890, dans son Dictionnaire théorique et
pratique d’électricité, Georges Dumont faisait l’observation, page
402 : « Il suffit qu’un corps, surtout s’il est conducteur,
soit placé dans le voisinage d’un corps électrisé pour qu’il soit lui-même
électrisé. . . . Si on rapproche suffisamment le corps influent du corps
influencé, on voit une étincelle jaillir entre eux. Alors tous les pendules du
corps influencé se mettent à diverger et l’on reconnaît qu’il demeure chargé
d’électricité de même nom que celle du corps influent. »
1890 est l’époque où les phénomènes de suggestion se généralisent, où l’hypnose devient une activité de plus en plus scientifique. De là à dire qu’il faut voir les psychismes des uns des autres comme des piles électriques pour que les suggestions hypnotiques puissent opérer : la question est peut-être plus musicale qu’il n’y paraît. Non seulement, les musiciens peuvent être sollicités pour augmenter la réceptivité des auditeurs à l’hypnose, mais ils peuvent eux-mêmes bénéficier des bienfaits d’une discipline que le 20è siècle a largement amplifié et consacré.
Et comme deux perspectives valent mieux qu’une, dans Métaclassique, nous invitons à dialoguer entre elles : l’historienne de l’hypnose musicale Céline Frigau Manning (qui prépare un ouvrage aux Presses du réel qui retrace les liens qui se tissent au 19ème siècle entre hypnose et musique) et la pianiste et hypnothérapeute Hélène Tysman qui co-anime des ateliers d’hypnose pour les musiciens avec la violoniste et hypnotiseuse Anne-Hélène Chevrette, que nous avons enregistré au cours d’un atelier d’initiation à l’hypnose réservé aux musiciens.
Une voix peut être rauque, stridente, accrocheuse,
aigrelette. Une voix peut être cristalline, frêle, voilée, quand elle n’est
sépulcrale, caverneuse ou haletante. Certaines voix sont blanches. D’autres
gouailleuses, éraillées ou cassées et, en cela préférables aux voix trop
onctueuses ou trop feutrées. Mais quand elle est une voix d’opéra ou de radio,
pourquoi faut-il qu’une voix soit triomphante ou, au contraire, glacée. A quoi
sert qu’une voix soit métallique, ronflante, sèche ou veloutée ? Et que
faut-il déduire d’une voix qui se fait particulièrement rocailleuse ou croassante ?
Quand on apprend des scientifiques australiens
révèlent que les voix des jeunes femmes en train de lire, a baissé de 23 Hz en
moyenne entre 1945 et 1993, on ne sait pas forcément comment le prendre :
est-ce qu’il en va d’une évolution des canons esthétiques, des critères de
séductions ou quelque stéréotype de genre, quand ce ne sont des assignations d’ordre
sexiste.
Dans Métaclassique, au lieu de boucler ces questions aux intersections entre musique, biologie et discriminations sociales, on préfère les entrecroiser : ce numéro va tresser deux recherches, en alternant deux entretiens : avec Laura Frémy qui prépare une thèse sur les grandes voix de radio et Alexandre Suire qui a soutenu une thèse qui explore, sans la résoudre complètement, l’hypothèse selon laquelle les hauteurs de voix dépendraient de facteurs évolutifs, autrement dit : est-ce pour des raisons de sélection sexuelle que les femmes continuent de parler plus aigu que les hommes ?