Metaclassique #144 – Immuniser

Il est quelquefois reproché aux artistes de vivre dans leurs bulles. Là où tout est pourtant très bien organisé pour que, casques immersifs et autres isolations phoniques pour preuve, celles et ceux qui écoutent se trouvent aussi dans des bulles, que Peter Sloterdijk appellent des « phonotopes ». Dans la trilogie des Sphères, le philosophe réfléchit à ces audiosphères comme autant d’isolats qui organisent des démarcations entre dedans et dehors, c’est-à-dire des systèmes immunitaires. Plus précisément qu’un refuge, l’individu en-capitonné de sons vient donc trouver dans la musique une sorte d’immunité. D’autant qu’en plus de cerner les contours des individus, la musique les appelle à écouter les intermittences de leurs fondements. Dans le livre Tu dois changer ta vie, Peter Sloterdijk replace la virtuosité dans une histoire de l’ascèse qui laisse entendre les gammes comme autant d’exercices spirituels, l’effort pour s’améliorer venant alors surplomber toutes les expressions artistiques. Le philosophe Peter Sloterdijk a reçu les micros de Metaclassique à son domicile à Berlin.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #143 – Voter

Au cours de la dernière édition du festival ManiFeste organisé par l’IRCAM, le pianiste compositeur improvisateur Alexandros Markeas a donné un concert intitulé Music of Choices, en référence à la Music of Changes dans laquelle, en 1951, John Cage recourait au Yi King pour déterminer les sons qui devaient être exécutés. À la place des jeux de tirage au sort imaginés par John Cage pour Music of Changes, Alexandros Markeas a pensé pour Music of Choices faire voter le public au cours du concert : depuis une application pour smartphone, chacun pouvait donner son avis : « sur des questions comme « Voulez-vous une musique optimiste ? oui ou non ? », « Que buvez-vous le matin : du thé, du café ou du chocolat ? » « Etes-vous antispéciste ? » À l’arrivée, les modalités participatives du concert étaient si élaborées qu’elles offraient une occasion rêvée pour Metaclassique d’interroger un public sur l’intérêt de voter en écoutant de la musique. Vous allez donc pouvoir entendre : le pianiste compositeur improvisateur Alexandros Markeas, ainsi que six personnes qui étaient dans le public. Dans l’ordre d’apparition dans l’heure qui vient : Maël Bailly – Adriana Soulele – Pierre Senges – Omer Corlaix – Filip Bernacik – Marie-France Hilly.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

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Pour prolonger la réflexion sur la participation du public

Metaclassique #142 – Regarder

Au moment de s’installer dans la salle avant le début d’un récital de piano, on peut toujours se poser la question : faut-il se mettre côté jardin pour pouvoir profiter du spectacle des mains ? Il peut même y avoir débat entre ceux qui consomment la musique avec les yeux et ceux qui savourent le concert les yeux fermés comme s’ils ne voulaient jouir de rien d’autre que de la musique. Ce qui veut dire qu’il ne faudrait justement pas oublier ceux qui restent agnostiques ou qui préfèrent ne pas trancher la question parce qu’ils se sont bien aperçus que, selon les moments, ils pouvaient se laisser happer du regard alors qu’ils peuvent aussi privilégier de fermer les yeux quand l’interprète en fait trop ou quand la musique semble leur demander une introspection qui peut se croire plus profonde quand elle se fait purement auditive. Pour ce numéro « Regarder » de Metaclassique, nous accueillons Matthieu Guillot qui a publié aux Presses universitaires de Provence, un essai intitulé : Conflits de l’oreille et de l’œil dans l’œuvre musicale. L’écoute intériorisée.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #141 – Ancrer

Il y a quelques semaines, Metaclassique inaugurait un dialogue avec le Centre Européen de Musique, dans un exercice de vénération de sa tutélaire : la chanteuse, compositrice, pianiste, pédagogue, ambassadrice, pour ne pas dire muse : Pauline Viardot. Nous allons aujourd’hui poursuivre ce dialogue en cherchant à « ancrer » le lieu que sera le Centre Européen de Musique qui doit s’installer d’ici quelques années à Bougival dans les Yvelines. Le verbe « ancrer » ne va donc pas seulement servir de fil rouge, il va pouvoir agir comme un agent de liaison entre les plus grands espoirs portés par le CEM de faire de la musique l’ancrage d’une « nouvelle renaissance européenne » ’ et : la manière dont ce projet va prendre forme concrètement.

D’où un panel d’invités tout à fait équitable entre les porteurs de fondements, d’idées, d’ancrages conceptuels et : les bâtisseurs. Enregistré dans le Salon Mado Robin de l’Opéra-Comique, cette émission accueillera – par ordre d’apparition – la secrétaire générale de l’organisation non-gouvernementale « Europa Nostra » : Sneška Quaedvlieg-Mihailović, le philosophe et membre du conseil scientifique du Centre Européen de Musique Jean-Michel Besnier, et puis : côté bâtisseurs garants de l’ancrage matériel du projet : deux opérateurs décisifs dans la réalisation du Centre Européen de Musique à Bougival : Philippe Gimet, qui dirige Operel, qui s’est spécialisé dans l’accompagnement de projets notamment dans le domaine du tourisme culturel (avec qui nous échangerons sur les croisements et possibles revers de croisements entre les mots de la culture et les mots du tourisme). Et puis : l’architecte Chetil Thorsen qui est actuellement à Oslo et dont les propos seront traduits par le directeur de Snohetta en France, Christophe Dalstein.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #140 – Encapsuler

Faudrait-il écouter Bach au téléphone ? Quel rapport y a-t-il entre un piano Steinway et une voiture ? Comment la vitesse de la musique peut-elle engouffrer le musicien, faire habitacle, jusqu’à l’aspirer ? Et est-ce que le bruit de l’aspirateur peut alors aider à se concentrer pour mieux écouter Mozart ?

Ce numéro de Metaclassique encapsule un certain nombre de questions essentielles en suivant une route à la fois sinueuse, aux virages fluides et aux dénivelés à peine perceptibles, grâce à la complicité entre les deux invités de l’émission : Elie During et Alain Bublex qui ont fait deux livres ensemble : Le futur n’existe pas : rétrotypes aux éditions B42 et Glenn Gould dans la nouvelle collection « Supersoniques » des éditions de la Philharmonie de Paris.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique # 139 – Exulter

Theodor Billroth était un chirurgien allemand très actif à la fin du 19è siècle et tenu pour le père fondateur de la chirurgie digestive. Passionné de musique, il était aussi violoniste virtuose et ami intime de Johannes Brahms. C’est à Theodor Billroth qu’un jour de l’été 1880, Brahms a écrit : « Mes nouvelles Danses Hongroises arriveront bientôt, je pense qu’elles nous amuseront. » De cette parole de maître arrachée à sa correspondance avec un ami proche, on pourrait conclure une bonne fois pour toute que les Danses hongroises si fameuses de Brahms sont donc faites rien que pour s’amuser. Mais, à l’usage, elles vont beaucoup plus loin. Il y a quelques semaines, j’ai pu voir un groupe de jeunes promeneurs qui accompagnaient sa ballade urbaine, au bord de l’eau, avec haut-parleur embarqué dans un sac à dos pour diffuser la 5ème de Danses hongroises de Brahms qui donnait un entrain à l’après-midi des amis de promenade qu’une bonne humeur et une franche camaraderie n’auraient peut-être pas suffi à provoquer. Alors, pour faire la preuve par l’expérience que cette musique de Brahms donne matière à Exulter, il fallait des complices. C’est donc avec la complicité de la compagnie théâtrale Turbulences que Metaclassique vous donne à entendre, pendant une heure, une seule œuvre à Exulter.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique # 138 – Imiter

Pour évoquer la mer, on peut faire une musique pleine de vagues et d’ondulations. Pour imiter l’envol, on trace une ligne sonore qui part vers le haut. Mais il paraît difficile de soutenir que, même si ces procédés d’imitation semblent naturels, ils seraient mobilisés par les compositeurs modernes de la même manière que par les compositeurs de la Renaissance ou de l’âge classique. Le philosophe Christian Accaoui observe : plus on avance vers le 20ème siècle, plus les compositeurs condamnent l’imitation dans leurs discours pour, en réalité, continuer à imiter dans leurs musiques.

Christian Accaoui a publié aux éditions de Conservatoire de Paris, La musique parle, la musique peint, un essai dont le titre est inspiré d’une phrase du chef d’orchestre Nikolaus Harnoncourt pour qui, jusqu’en 1800, la musique parle, mais à partir de 1800, la musique peint. Mais alors que Christian Accaoui expliquera, au cours de cette émission, la césure que connaît la musique dans le passage du 18 au 19ème siècle, il détaillera aussi pourquoi il pense qu’en peignant, la musique continue à parler, en vertu du fait que, quand elle parle, la musique peint déjà.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique # 137 – Patrimonialiser

Depuis sa Convention de sauvegarde de 2003, le répertoire du Patrimoine Culturel Immatériel tenu par l’UNESCO donne une grande part à la musique. Au-delà des Nations-Unies, le « patrimoine immatériel » semble être devenu le modèle dominant pour valoriser des pratiques musicales locales à une échelle internationale, tout en les patrimonialisant. Et puisqu’il paraît forcément bénéfique de défendre le patrimoine et de reconnaître que des gens qui jouent de la musique dans une communauté s’inscrivent donc dans le patrimoine et de la communauté et de son territoire, il reste à se demander si c’est en effet que bénéfique ? Est-ce qu’en plus des effets vertueux, l’inscription d’un répertoire au patrimoine culturel immatériel n’a pas, aussi, quelques effets pervers ? Nous recevons l’ethnopoéticienne Penelope Patrix qui travaille et réfléchit sur la constitution du répertoire du fado et l’ethnomusicologue Lucille Lisack qui a enquêté sur la musique contemporaine en Ouzbékistan, avec tout ce que l’idée d’une musique contemporaine peut déplacer dans la frontière mouvante entre musique académique et musique étiquetée « traditionnelle » surtout par ceux qui en pratiquent une autre.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique # 136 – Infantiliser

Pour faire apprécier la musique classique aux enfants, on leur raconte des histoires d’enfants avec de la musique classique dedans. Bien sûr, on adapte les histoires. On adapte aussi la musique. Mais en quoi les besoins de la pédagogie peuvent alors faire basculer ces adaptations dans l’infantilisation ? Pour poser sérieusement la question, Metaclassique a organisé un colloque pour faire un point surtout pas seulement sérieux sur l’image de la musique classique dans la littérature jeunesse. Des doutes sur les critères musicaux à l’œuvre dans Martine découvre la musique aux malices supposées du solfège dans les Malheurs de Sophie en passant par de la platine par la Petite Taupe, ce colloque accueille quatre contributeurs : Lambert Dousson, Charlotte Hubert, Guilhem Marion et, pour commencer : le philosophe Alahin Badihou. Durant cette heure de colloque radiophonique, vous entendrez également, en qualité de répondant fil rouge : Omer Corlaix et, à la modération : Capucine Porphire.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel, enregistrée à la Maison des Associations du 8ème arrondissement de Paris.

Metaclassique # 135 – Signifier

Est-ce qu’une Sonate de Mozart peut objectivement raconter une histoire ? Au-delà des films que chacun peut se faire à l’écoute d’une œuvre instrumentale, comment les compositeurs peuvent user du langage musical pour y déposer quelques suggestions narratives ? Si les poèmes symphoniques du 19ème siècle donnent des exemples apparemment incontestables de récits racontés en musique, il reste des spécialistes pour considérer que, même quand l’histoire est revendiquée par le compositeur, c’est le texte d’accompagnement qui charge la musique d’un programme plus que la musique elle-même, comme si un auditeur qui écouterait Jeux ne pouvait, sans le titre, deviner les images de parties de tennis que Claude Debussy avait en tête quand il composait sa partition. En réponse aux musicologues formalistes qui soutiennent que la musique ne peut pas directement produire de la narration, Marta Grabocz a réuni vingt-trois contributions des spécialistes les plus reconnus au monde dans l’examen des signes musicaux. L’occasion pour Metaclassique d’offrir un tour d’horizon à la fois élargi et varié de travaux aux démarches très éclectiques, qui empruntent aussi bien à la sémiotique qu’aux gender studies en passant par les sciences cognitives pour détecter des éléments expressifs dans toute sorte de musiques sans parole. Pour en parler, nous recevons deux musicologues : Marta Grabocz à l’origine du volume Narratologie musicale paru aux éditions Hermann, mais aussi Danièle Pistone qui fait partie de ses vingt-trois contributeurs.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #134 – Chronométrer

Alors que le métronome est inventé par Johann Nepomuk Maelzel en 1816, l’idée d’un mécanisme capable de battre la mesure de manière régulière apparaît déjà au 18è siècle : à l’entrée « Chronomètre » de son Dictionnaire de musique, Jean-Jacques Rousseau évoque les montres des horlogers, le Pendule inventé par Sauveur ou encore le projet de Métromètre dont, selon Rousseau, il a été question dès les années 1730. À la nécessité d’archiver le tempo, le Métronome va aussi aider à la circulation des vitesses d’exécution et permettre aux compositeurs d’asseoir leur autorité sur le débit exact qu’il faut donner aux partitions, avant de se trouver d’autres utilités dans le domaine de la pédagogie musicale ou encore de la médecine. Et alors qu’il est l’indice d’une mécanisation des pratiques musicales, le signe emblématique d’une industrialisation de la vie artistique, il est aussi le contre-emblème du romantisme qui lui préfère le rubato, l’expression des sentiments affranchie de toute mesure et de toute métrique. Pour décrire les mentalités musicales qui concourent à l’apparition de métronome, nous recevrons Emmanuel Reibel qui enseigne l’esthétique musicale au CNSMD de Paris et l’ENS Lyon, juste après avoir écouté quelques notes interprétées par le trompettiste automate confectionné par Johann Nepomuk Maelzel.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #133 – Incorporer

Quand on dit « incorporer les blancs en neige au reste de la préparation », l’opération d’incorporer consiste donc à faire entrer une partie dans un tout d’une autre substance. Le verbe « incorporer » est pratiquement synonyme de « mélanger ». Là où certains dictionnaires en font le synonyme d’ « incarner », pour dire qu’« incorporer » revient à donner un corps à une entité qui n’en a pas encore. Entre unir plusieurs matières pour en faire un même corps et introduire quelque chose de plus ou moins immatériel dans une enveloppe corporelle, nous allons varier le verbe « incorporer » avec deux invitées : Christine Leroy qui a beaucoup réfléchi aux phénomènes d’empathie kynesthésique dans son ouvrage Phénoménologie de la danse paru aux éditions Hermann et Charlotte Vaillot Knudsen qui développe une approche charnelle d’instruments minéraux tels que les lithophones, dans un article De l’orgue au septième ciel. Pour une spéléologie du souffle-désir dans le neuvième numéro de la revue Transposition.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.