La Sonate « Appassionata » de Beethoven est tenue pour objectivement plus importante que la « Rêverie sur la musique blessée, dénaturée, violée, assassinée par beaucoup de cuistres contemporains » de Robert Caby. Mais il peut tout de même y avoir des raisons subjectives et néanmoins très importantes de préférer jouer l’Andante « 24 février » d’un Ervin Nyiregyhazi que Gaspard de la nuit de Maurice Ravel. Cette semaine, Metaclassique s’est rendu chez un pianiste chineur qui collectionne les œuvres de compositeurs qui ont échappés à la consécration. Et si François Mardirossian en est venu à s’attacher à ces musiciens, c’est parce qu’il a pris l’habitude de chiner si bien que toutes les partitions dont il a fait l’acquisition sont chargées d’une histoire singulière. Pendant les deux journées d’enregistrement dont cette émission vient vous offrir un condensé, nous avons égrené plus de cinquante partitions, cinquante artistes dévoués à la musique dont le point commun objectif est de ne pas avoir été retenues par la grande histoire, mais dont le seul point commun consistant est d’avoir été chiné par François Mardirossian
Walter Benjamin écrivait « Le chroniqueur qui narre les événements sans jamais vouloir distinguer les petits des grands tient compte de cette vérité majeure que rien qui jamais se sera produit ne devrait être perdu pour l’histoire. » (Sur le concept d’histoire, 3). Cette phrase est citée par Jacques-Henri Michot dans un livre achevé d’imprimer le 24 avril 2023, Au jour dit – Le 24 avril en France aux éditions Al Dante, où l’on peut donc lire une série d’événements sans discrimination d’importance, tous survenus un 24 avril. Par exemple, c’est le 24 avril 1780 que Mozart terminait une lettre à sa cousine par : « A vos parents, de nous trois, deux garçons et une fille, 12345678987654321 compliments, et à tous les bons amis de ma part 624, de la part de mon père 100, et celle de ma sœur 150, ensemble 1774, et summa summarun, 12345678987656095 compliments. »
Depuis Un ABC de la barbarie paru en 1998, en passant par Derniers temps publié par les éditions NOUS en 2021, ce Metaclassique va cheminer avec Jacques-Henri Michot dans les références à la musique qui parsèment ses livres à travers l’agencement si particulier que produisent les coïncidences de dates dont son œuvre offre donc une collection.
Au début du 19è siècle, le goût pour les contrastes dynamiques semble s’être généralisé au point que les nuances extrêmes et les sauts entre pianissimo et fortissimo passent dans le langage musical usuel. Dans la même période, on semble porter une attention de plus en plus soutenue à l’homogénéité de la couleur de la voix ou d’un instrument dans tous les registres de sa tessiture. Dans un contexte qui passe volontiers les questions d’expression au crible des connaissances scientifiques, l’Académie des Sciences s’en mêle en lançant en 1840 un appel pour que les chercheurs à donner des explications anatomiques, acoustique et physiologiques au mécanisme de la voix humaine. Les mémoires et traités sur la voix fleurissent, les médecins et les profs de chant croient parler de la même chose alors que sans doute pas tout à fait. Parmi eux, il y en a un qui est à la fois médecin et professeur de chant au Conservatoire, Manuel Garcia fils qui va pousser l’investigation jusqu’à développer un « laryngoscope » pour examiner le fonctionnement du larynx en train de chanter. Ledit « laryngoscope » est devenu un objet patrimonial qui a été acquis par la Villa Viardot, du nom de Pauline Viardot, la sœur de Manuel Garcia fils. Et c’est justement à la Villa Viardot à Bougival, à l’occasion de sa réouverture au public après sa restauration que le Centre Européen de Musique a offert à Metaclassique le soin d’inaugurer ses salons pour enregistrer cette émission pour offrir un premier événement à la mesure de ses enjeux : l’histoire du laryngoscope et, à travers lui, des débats scientifiques qui entouraient la voix lyrique à la grande époque du bel canto. Pour ce faire, nous accueillons Michèle Castellengo, chercheuse CNRS au Laboratoire d’Alembert qui a signé, en 2015 aux éditions Eryolles Ecoute musicale et acoustique, mais aussi l’historien du chant Pierre Girod qui enseigne à l’Université de Toulouse et Alessandro Patalini qui enseigne le chant au Conservatoire Frescobaldi de Ferrara et qui a édité « I dodici terzetti notturni senza accompagnamento di Manuel Garcìa Sr. »
Et puis, en fin d’émission, nous recevrons celui sans qui nous ne pourrions être dans cette Villa Viardot : le président-fondateur du Centre Européen de Musique, Jorge Chaminé qui est à l’origine de la restauration de la Villa Viardot et de l’acquisition du laryngoscope de Manuel Garcia fils.
Quand on visite un appartement, on regarde les dimensions et, si tout va bien, on se projette sur ce qu’on pourrait faire dedans. Quand on visite une œuvre musicale, c’est presque pareil, au mur porteur près. Mais quand on re-visite, c’est qu’on veut aller encore un peu plus loin dans la projection et pourquoi pas même envisager quelques aménagements, le coût des travaux, le recours aux artisans qui vont pouvoir nous accompagner dans le réaménagement des lieux… Et, dans le genre, en musique, on peut même revisiter le répertoire par l’improvisation, réviser la pédagogie par la création , revisiter les jeux olympiques par le piano.
Metaclassique est installée dans l’Auditorium du Lycée Paul Eluard de Saint-Denis pour un enregistrement en public d’un numéro « Revisiter » : dans le cadre de la deuxième Biennale de piano collectif : en partenariat avec la Maison de la Musique Contemporaine, on se posera la question de la création dans les conservatoires – dont on va pouvoir entendre trois applications directes avec les étudiants des Conservatoires de Saint-Denis et de Clermont-Ferrand qui revisitent le Concerto en sol de Maurice Ravel, les jeunes élèves du Conservatoire d’Emmanuelle Tat au Conservatoire de Pierrefitte qui revisitent quelques disciplines olympiques, les élèves du Conservatoire du 15ème arrondissement à Paris et, pour commencer, cinq pianistes du Conservatoire de Brest dans Trois Sonates avec Interludes improvisés de John Cage.
Précédent numéro de Metaclassique enregistré dans le cadre de la Biennale : #161 – Multiplier
Un compositeur pourrait être un phare pour un autre et lui écrire : « vous êtes à un virage extrêmement important dont je m’estime être le panneau signalisateur. Vous pouvez brûler ce panneau et passer outre mais j’ai l’intention, vis-à-vis de vous, de faire mon devoir jusqu’au bout. » Une manière de lui renvoyer la pareille est, en miroir, pour le compositeur qui reçoit le panneau signalisateur de lui-même faire feu d’avertissement, en lui répondant : « Vous êtes si vivement intelligent que vous vous trompez plus radicalement que la moyenne. Vous voyez, vous raisonnez puis vous cessez d’observer. »
Ces phrases en équilibre entre estime et défiance sont extraites de lettres que se sont échangées, à la fin des années 1950, Pierre Schaeffer et Iannis Xenakis. Le premier avait fondé une dizaine d’années plus tôt la « musique concrète ». Le second venait de réaliser Concret PH pour le pavillon Philips de l’exposition universelle de Bruxelles. Deux compositeurs qui partageaient le point commun d’avoir été formé à Polytechnique, qui avaient certainement une grande conscience de l’importance de l’autre, mais qui n’avaient pas la même conception des rapports entre musique et science.
Pour tenter de comprendre les tenants et aboutissants de la querelle, de reconstituer les raisons et les sentiments qui ont alimentés la brouille entre les deux compositeurs, Metaclassique est installé cette semaine dans l’espace musique de la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou pour accueillir deux témoins : Jacqueline Schaeffer qui a été la compagne de Pierre Schaeffer de 1959 jusqu’à sa mort, en 1995 et Mâkhi Xenakis, la fille de Iannis Xenakis, mais aussi deux musicologues qui se sont intéressés à l’un et l’autre des compositeurs : côté Xenakis, Pierre Carré et côté Schaeffer, Nicolas Debade.
Au milieu du 18ème siècle, la cour vient chaque année à Fontainebleau où des ouvrages des grandes stars lyriques de l’opéra de l’époque sont créés. Mais il en est un qui fait exception, parce qu’il est chanté en langue d’oc. C’est en 1754, le compositeur Mondonville écrit et compose Daphnis et Alcimadure, les aventures de deux personnages connus des lecteurs de Jean de la Fontaine vont permettre une pastorale, où les bergers se voient réservés le droit d’exprimer le sentiment de l’amour. Quelques décennies avant le romantisme, il était encore possible de conjuguer sentimentalité et légèreté, pour ne pas dire badinage, dans une musique qui sent bon la campagne mais qui a quelques bonnes raisons de prendre des manières musicales au goût italien, à l’heure où la Querelle des Bouffons est sur le point de se terminer… C’est bien pour décliner le verbe « Badiner » que ce Metaclassique vous propose d’écouter de nombreux extraits de cette pastorale languedocienne et nous la faire raconter par le directeur musical de l’orchestre Les Passions, Jean-Marc Andrieu et la musicologue Bernadette Lespinard.
Quand un compositeur cite un thème qui n’est pas de lui, cela peut être la preuve qu’il l’aime bien ou qu’il veut en découdre avec une force de vérité qui lui résiste dedans ou qu’il s’apprête à puiser en lui des ressources plus ou moins identifiables… à moins que le langage musical se trouve tellement en ruines qu’il n’y ait donc plus d’autres possibilités que d’y piocher. Avec le compositeur Olivier Greif, on tient un cas où les citations et les références au patrimoine musical empruntent sans doute à tout ça.
Pour entrer dans le dédale des citations, pour fouiller dans le feuilleté des motivations du compositeur à prendre un peu de la musique des autres et pour aller jusqu’à saisir ce qui peut se passer entre des fragments venus d’ailleurs là où ils sont mis ensemble, coupés, dilapidés, étirés…, nous recevons dans le Salon Mahler de la Bibliothèque La Grange Fleuret, la musicologue et violoncelliste Anne-Elise Thouvenin, la musicologue et romancière Sarah Léon et le chef de chœur et chef d’orchestre Felix Bénati qui ont tous les trois contribué au dossier « Olivier Greif d’éclat et de couleur » coordonné par Brigitte François-Sappey et Etienne Kippelen dans le numéro 39-40 de la revue Euterpe édité par l’association des Amis de la musique française.
Dans Machina memorialis, l’historienne Mary Carruthers compare les palais de la mémoire et autres lieux mnémoniques aux dents et roues d’une machine qui « permettent à l’ensemble de la structure de s’ébranler et de fonctionner. » Par extension, quand on voit un théoricien faire un schéma au cours d’un raisonnement, ce n’est peut-être pas seulement pour résumer, synthétiser et éclaircir sa pensée, c’est sans doute aussi pour créer quelques balises entre lesquelles il reste à refaire le chemin. Schématiser peut alors devenir une méthode poétique pour circuler dans un corpus, en fixant des crans et en sollicitant la fantaisie pour évoluer de l’un à l’autre. C’est le principe qui a permis l’élaboration de ce Metaclassique avec les étudiantes de la classe de Métiers de la culture musicale de Lucie Kayas du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, auquel se sont joints quelques étudiants de l’ENS de la rue d’Ulm à Paris pour aller et venir dans la musique, les dits et les écrits du compositeur André Jolivet.
Extrait de « Comment s’en sortir sans sortir » (réalisé par Raoul Sangla)
En public, les poètes font des lectures ou des performances. Le poète Ghérasim Luca avait, pour sa part, consacré le terme de « Récital » pour des lectures où la part de la profération donnait corps à la « cabbale phonétique » que ses lecteurs avisés viennent attester à travers des assonances qui, plus superficiellement, pourraient passer pour de seuls jeux de mots. Pour entrer dans le dédale de ces jeux, Metaclassique a proposé à Patrick Beurard-Valdoye de nous conduire à la découverte de Ghérasim Luca, des origines de son nom jusqu’à son goût peut-être programmatique pour le Bolero de Ravel en passant par son suicide. Nous entendrons aussi Thierry Garrel, très proche ami du poète à qui l’on doit la production du récital télévisuel « Comment s’en sortir sans sortir » réalisé par Raoul Sangla qui a valu à Ghérasim Luca d’avoir une pleine heure d’antenne sur la chaîne de télévision La Sept en 1988 et Bertrand Fillaudeau qui, aux éditions Corti, a publié les textes de Luca de 1982 jusqu’après la mort du poète, en 1994. Des textes que nous avons donnés à lire et analyser à quelques élèves de l’ENS de la rue d’Ulm et des Beaux-Arts de Paris.
La Danse (détail) tenture des Sujets de la Fable (1684)
Quand on a commencé à jouer sur instruments d’époques, il n’y avait pas beaucoup d’époques. Pendant que des orchestres se spécialisent dans le jeu sur instruments baroques et d’autres sur instruments romantiques, les recherches découvrent certaines lacunes. Et alors que les parties de hautbois de l’opéra Atys de Lully sont une page d’anthologie pour l’instrument, elles viennent d’une époque pour laquelle on connaît beaucoup moins la facture des hautbois. Non seulement les hautbois des années 1670 étaient bien différents des hautbois baroques consacrés du début du 18ème siècle, sans compter que ce qu’on savait des hautbois baroques depuis qu’on s’est remis à jouer de la musique baroque supposaient des adaptations de doigtés qui ont fini par infléchir et biaiser les copies d’ancien desdits hautbois. Pour mieux saisir l’enchevêtrement des problèmes qui se posent à qui veut retrouver le son des hautbois d’Atys de Lully, Metaclassique vous propose d’entendre la chercheuse Lola Soulier, mais aussi les hautboïstes Neven Lesage, Anabelle Guibeaud et Krzystof Lewandowski, mais encore le facteur de hautbois Olivier Clémence, ainsi que le musicologue Benoît Dratwicki, directeur artistique du Centre de Musique Baroque de Versailles où cette émission a été intégralement enregistré.
L’idée de « portrait musical » a l’attrait du paradoxe. Depuis que Carl Dahlhaus l’a énoncé au plus clairement dans L’Idée de la musique absolue, il est comme établi que l’âge romantique ayant fait de la musique un absolu qu’il a fini par instaurer une sorte de déconsidération systématique à l’endroit de la force de la musique à raconter des histoires ou représenter des personnages. Ce qui explique peut-être que le genre du « portrait musical » est resté un angle mort de l’histoire de la musique et de la musicologie. C’est donc pour remédier à l’étrange déficit de recherches sur le portrait en musique qu’au mois d’octobre 2022, Fabienne Bercegol et Frédéric Sounac ont organisé à l’Université de Toulouse deux journées d’étude consacrées au portrait musical qui brossaient trois siècles de musique : de Couperin à Chick Corea en passant par Mozart, Schubert, Francis Poulenc ou encore Pierre Boulez.
Aux musiciens qui improvisent ensemble, se posent des questions plus ou moins lourdes : sont-ce toujours les mêmes qui préfèrent commencer ? y a-t-il certains désaccords sur le fait d’aller d’un point A à un point B ? des signaux d’alerte peuvent-ils se confondre avec des marques de réconfort ? peut-on seulement être sûr de ce que l’on va provoquer ? Et : est-ce que ça soulage ?
À l’occasion des festivités organisées au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris pour célébrer le trentième anniversaire de la classe d’Improvisation Générative une vingtaine d’élèves de la classe ont bien voulu répondre à ces questions à partir d’un pacte Metaclassique : se donner dans les réponses à l’entretien radiophonique toutes les libertés que l’on prend quand on improvise, superposer les voix, varier les registres, mettre en boucle certaines idées, veiller à ce que la cohérence collective l’emporte sur le sérieux de ce qui est en train d’arriver.
À l’heure des carnavals, Metaclassique vous propose donc une sorte récréation radiophonique où l’improvisation musicale se trouve incarnée, interrogée jusqu’à ce que, mieux que des réponses claires et distinctes, adviennent quelques formes de soulagement des questions.