Metaclassique #245 – Précariser

Pour rentrer dans la musique, une solution assez studieuse est souvent prisée qui consiste à consulter la pensée du compositeur. Si bien qu’on ne peut plus écrire de la musique sans que des auditeurs viennent chercher dans nos dires quelques clés d’interprétation. Il n’est donc pas impossible qu’au lieu de jouer le jeu de l’explicitation, certains artistes préfèrent reconduire dans leurs déclarations, une logique de création. C’est pourquoi il est sans doute plus intéressant de circuler entre la pensée, la musique et la poésie de Scelsi plutôt que de chercher à trouver la clé de l’une dans l’autre ou à décider arbitrairement laquelle pourrait bien servir d’introduction à l’autre. C’est bien sans préoccupation à savoir lequel pourrait englober les autres qu’au long de cette émission, nous allons tourner dans les cercles poétiques, philosophiques et musicaux de Scelsi avec le musicologue Pierre-Albert Castanet qui publie aux éditions Michel de Maule, une généreuse monographie intitulée Giacinto Scelsi. Les horizons immémoriaux.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #244 – Traduire

Echange de destins plus ou moins équitable

Entre la fidélité au sens, le respect de la métrique, la congruence de registre et, avec tout ça, les possibilités vocales des interprètes, la traduction d’opéra cumule tellement de contraintes qu’elle n’est pas loin de l’impossible. A l’occasion d’une nouvelle production de L’Opéra de Quat-sous avec la troupe de la Comédie-Française dans une mise en scène de Thomas Ostermeier sous la direction musicale de Maxime Pascal avec l’ensemble Le Balcon, le traducteur Alexandre Pateau a fait une nouvelle traduction de l’opéra de Bertold Brecht et Kurt Weill. Au moment de la création de ce nouvel Opéra de Quat-sous, le festival d’Aix-en-Provence a invité Metaclassique à suivre un « atelier de quat’sous » imaginé par le traducteur pour que les festivaliers puissent se prêter à l’exercice et saisir, crayons en mains, que le grand nombre des contraintes qui pèsent sur le traducteur d’opéra l’oblige à une licence poétique d’autant plus libre qu’elle doit sera imprégnée d’une fouille des sources très en profondeur, qui nous mènera à interroger deux experts sollicités par Alexandre Pateau : le spécialiste des complaintes Jean-François Heintzen et la spécialiste de François Villon, Jacqueline Cerquiglini-Toulet.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Revoir la table-ronde du Festival d’Aix-en-Provence consacrée à la traduction :

Metaclassique #243 – Bégayer

Image de balbutiements originels via la Théogonie d’Hésiode lue par Yves Bergeret

Dans les années 1960, William Labov a développé des observations sur la stratification sociale des variables linguistiques. C’est aussi lui qui est à l’origine de la notion d’insécurité linguistique. En 1976, dans le livre intitulé Sociolinguistique, il écrivait à propos des petits-bourgeois new-yorkais que leur insécurité linguistique pouvait se traduire « par de profondes fluctuations au sein d’un contexte donné ; par un effet conscient de correction ; enfin, par des réactions fortement négatives envers la façon de parler dont ils ont hérité. »

L’idée que les rapports de classe pèsent sur nos façons de dire est si intéressante qu’elle peut cacher d’autres contextes : bégayer ne renvoie pas systématiquement à des jeux d’intimidations sociales. Peut-être même que le bégaiement ne demande pas toujours à se corriger ou à s’en défendre ou, pendant que l’on parle à chercher à tout prix à renforcer sa sécurité linguistique. D’autant que la sociolinguistique nous apprend aussi que la fluidité de l’élocution ne va pas de soi, elle tient d’un privilège qui n’est pas donné à tout le monde. Si bien que la parole aisée n’est peut-être pas si normale, pas si admirable. Peut-être même qu’il y a quelque chose de suspect à ce qu’elle apparaisse si couramment désirable.

Pour ce numéro Bégayer, Metaclassique a réuni Peter Szendy qui, avec Laura Odello, a signé aux éditions de Minuit, l’essai La Voix, par ailleurs et le musicologue Damien Bonnec qui a réfléchi à quelques mises en scènes poétiques et musicales du bégaiement. Et puis, vous entendrez aussi – en deuxième partie d’émission – les réflexions que poète plasticien Yves Bergeret avait développé dans le cadre de la Nuit des Bégaiements diffusé par La Radio Parfaite en 2018.

Metaclassique #242 – Décrocher

Elève apparemment navré de sa situation scolaire, qui semble se demander s’il ne ferait pas mieux de faire autre chose. (Extrait du film « En rachâchant » de Marguerite Duras, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub)

Un jour, un élève a défini la dissonance comme des « Sons qui semblent en désaccord et qui produisent un frottement dans l’assistance. » Une définition qui semble sortir du scolairement correct, sans être exactement fausse. Elle serait même raccord avec une représentation traditionnaliste de la dissonance. C’est dire si les copies de certains élèves tenus pour décrocheurs peuvent recouvrir une force de vérité particulière et donc intéressante. Mais pour aller encore un peu pus loin que le seul charme des approximations inspirantes, ce numéro « Décrocher » de Metaclassique va tenter une substitution : au lieu d’en rester à la vision désespérée du décrochage scolaire qui veut qu’un certain nombre d’élèves, ne voyant plus l’ascenseur social au fond du couloir du collège, ne voient plus non plus pourquoi ils s’accrocheraient, nous allons tenter de développer une vision autrement vertueuse dudit « décrochage ». Tout le jeu va être de trouver une beauté au hors-sujet d’apercevoir un horizon d’éveil désynchronisé, vague, rachachant au nom duquel les profs eux-mêmes viennent à décrocher des préconisations des textes officiels. Pour ce faire, nous mettons en dialogue deux profs : Annie Ducol, prof de musique en collège et lycée aujourd’hui à la retraite et Guillaume Gesvret qui enseigne le français et signe Un léger désordre aux éditions Corti.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #241 – Etudier

La pianiste Ninon Hannecart-Ségal qui se jette à l’eau en réfléchissant beaucoup.

Dans un premier sens, les Études sont les années que l’on consacre à apprendre un métier, une discipline ou un art comme la musique. Mais, en musique, les Études désignent aussi les morceaux justement écrits pour développer sa technique. De Frédéric Chopin jusqu’à Bernard Cavanna, en passant par Ligeti, le genre est consacré. Et comme on apprend toute sa vie, on peut jouer des Études bien après ses années de conservatoire, leurs difficultés pouvant même être calibrées pour déplafonner le niveau d’exigence de tous les conservatoires du monde. Certaines études atteindraient de tels sommets que certains professeurs pensent qu’il faut s’en préserver avant d’avoir déjà progressé dans la carrière et d’avoir largement dépassé le temps des études. D’ailleurs, au moment de commencer l’Académie Philippe Jaroussky, la pianiste Ninon Hannecart-Ségal s’est vue proposé par Cédric Tiberghien de jouer des Études. En suivant la pianiste tout au long de cette année à l’Académie, Metaclassique a pu rentrer dans le chevauchement de ses élans et de ses doutes, jusque dans ses échanges avec le compositeur Bernard Cavanna qui lui a justement dédié ses Etudes et dans un cours où elle travaillait avec Cédric Tiberghien, Mazeppa, la quatrième des douze Études d’exécution transcendante de Franz Liszt.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #240 – Débuter

Enfant qui écoute attentivement ce qu’il n’a pas encore joué.

Au début, on n’a pas beaucoup de technique, on ne sait même pas pourquoi il faudrait à tout prix être virtuose. Mais puisque c’est le début, il est trop tôt pour en faire un drame. En plus, il ne sera jamais trop tard pour en faire une opportunité et imaginer quelle musique originale peut ressortir des premiers pas en musique. Une fois entendue que les premiers cours de piano peuvent être le lieu d’une écriture musicale toute spéciale, les rapprochements entre la pédagogie et la création peuvent permettre de retourner les perspectives de part et d’autre et offrir la possibilité de réapprendre ce que c’est que le piano et ce que peut bien être de faire de la musique. Ce Metaclassique sera un diptyque au cours duquel nous allons suivre un cours dispensé par la pianiste et pédagogue Martine Joste à d’autres profs de piano pour leur montrer comment aborder l’instrument dans son entier, quitte à commencer par le faire sonner par toutes ses composantes – à ne pas trop commencer par le clavier. Mais avant, pour la première partie de l’émission, nous nous rendons chez le compositeur Gérard Pesson pour feuilleter les premières pages de ses Musica ficta, des pièces contemporaines pour piano qu’il compose, commande et édite aux éditions Lemoine pour les apprentis pianistes.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Numéros connexes de Metaclassique : #50 – Catégoriser#55 – Partager et #64 – Jouer

Metaclassique #239 – Revenir

Extrait du film Retour à la vie (1949)

Le genre du concerto se définit volontiers comme un dialogue entre un soliste et un orchestre. C’est donc un dialogue asymétrique entre un seul individu et un groupe. Il peut y avoir du soutien, de la solidarité ou encore de la défiance et de grandes tensions. Et si on peut aller jusqu’à y projeter des histoires, on peut facilement entendre de la surenchère, des incompréhensions, des conflits, des tentatives d’écrasement, d’apaisement et des recherches de consensus parfois trop tardives pour permettre une réelle réconciliation. Et puis, comme dans tous les scénarios, il y a des passages obligés, des moments attendus. Pas de concerto sans un moment où le soliste est absolument tout seul œuvre dans l’œuvre. Ce moment s’appelle la cadence et offre, au retour de l’orchestre, un instant de vérité sur l’état des relations entre le soliste et la masse de l’orchestre.

Pour cet épisode Revenir de Metaclassique, nous ne ferons rien d’autre que d’aller et venir sur ces moments, de revenir avec deux invités qui ont choisi les concertos qui jalonneront la discussion le chef d’orchestre compositeur et pianiste Clément Mao-Takacs, qui dirige le Sécession Orchestra. Parrain de l’émission (pour avoir participé à la première émission), il fera son retour dans ce numéro Revenir en compagnie du pianiste et consultant dans le secteur financier Antoine Moreau.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #238 – Idéaliser

Canon de beauté relativisé par la mise en perspective

Pour parler des inégalités entre les femmes et les hommes à l’opéra, on peut faire les comptes du nombre de femmes et d’hommes et constater que la non-parité varie beaucoup selon les niveaux de responsabilité et les rôles. Une égalité en quantité n’empêche en rien des asymétries en qualité, tant que pèsent des stéréotypes qui font les femmes tantôt hypersensibles ou fatales ou trop idéalisées, mais aussi les hommes quelque fois instables ou démesurément pervers quand ce n’est d’un charisme qui frôle le ridicule. Dans ce Metaclassique « Idéaliser » nous recevons : Marianne Chauvin qui prépare à la Sorbonne une thèse intitulée Politiques féministes et politiques queers sur la scène lyrique aujourd’hui, Sarah Nancy qui a publié en 2012 dans la collection Classiques Garnier, La Voix féminine et le plaisir de l’écoute en France aux xvii et xviiiè siècles et qui poursuit une intense activité académique sur les questions de différenciations de genre dans les discours sur la musique et Raffaele d’Eredita qui a soutenu à la Sorbonne en 2016 une thèse sur Le dernier Massenet.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Numéros connexes de Metaclassique : #91 – Ensorceller, #196 – Co-exister, #201 – Se marier, #217 – Abrutir et #219 – Buzzer

Metaclassique #237 – Avouer

Domenico Scarlatti a composé 555 sonates. Un nombre juste assez truculent pour s’attirer une sorte de fétichisme parfois un brin suffisant : « 555 ? – ça alors ! – oh bé dites donc ! » Une fois qu’on a recroquevillé la fascination sur elle-même pour en faire une friandise : que faire d’autre que deviser sur la pertinence des classements ou se lancer le défi de donner l’intégrale ? Avec 555 sonates, on doit pouvoir faire encore d’autres opérations que seulement dérouler les non-concordances entre leurs différents catalogues ou en faire la grande traversée. Déjà, il faudrait s’entendre sur l’ordre. Heureusement, cela est impossible et les sentiments peuvent ainsi reprendre le dessus. Le compositeur Colin Roche a noué un lien sentimental avec les Sonates de Scarlatti et a décidé d’en faire lui-même une édition pour la Maison ONA. Et pour que l’imagination et le désir l’emportent sur l’esprit de catalogue, Metaclassique et l’Abbaye de Royaumont ont invité Colin Roche à travailler un plein week-end avec la pianiste Violaine Debever aux côtés de la romancière Hélène Gestern qui ont aussi été reçu dans la Bibliothèque musicale François-Lang par Thomas Vernet pour découverte de quelques éditions rares des Sonates de Scarlatti que François Lang avait collectionné.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #236 – Osciller

Alvin Lucier en train de donner un concert de ses ondes cérébrales amplifiées

Un jour, Morton Feldman dit à Karlheinz Stockhausen : « Je ne mène pas les sons par le bout du nez ». Et Stockhausen lui répondait par un semblant de question : « Pas même un petit peu ? » (p. 125) L’abandon de la maîtrise du son semble être la condition pour l’observer, mais aussi la direction prise par des compositeurs emblématiques de la musique expérimentale, à commencer par John Cage et Alvin Lucier qui s’est fait comme une spécialité de concevoir des œuvres qui font réfléchir le son dans l’espace, qui laisse se produire ses résonances minimales, jusqu’à utiliser des oscillateurs et se faire une réputation de phénoménologue.

C’est pour un numéro « Osciller » que Metaclassique est accueilli à La Cassette pour entrer plus en détail dans l’œuvre d’Alvin Lucier avec le musicologue Matthieu Saladin qui a fait paraître aux éditions MF un livre d’entretiens avec Alvin Lucier et le pianiste Nicolas Horvath qui été le commanditaire et le créateur de la dernière œuvre du compositeur. Mais pour reprendre la chronologie au début, voici un extrait de sa première œuvre expérimentale, Music for a Solo Performer – une œuvre de 1965 dans laquelle gongs, timbales et grosses caisses vibrent sous l’impulsion de l’encéphalogramme qui capteur les ondes alpha émises en direct par le compositeur.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #235 – Enchaîner

Graphe de Philippe Manoury pour déterminer les probabilités de successions à partir du mi et du sol .

À vouloir réarticuler une pensée après avoir observé les fascinations d’usage devant les performances musicales des algorithmes, on entend se déclencher une petite musique assez mécanique qui dit globalement toujours la même chose : les machines ne devraient plus du tout tarder à pouvoir remplacer les talents naturels ou pour le dire plus positivement, mais sans que le constat soit si différent sur le fond : la créativité humaine n’aura jamais dit son dernier mot puisqu’elle ne fera jamais la même chose qu’une calculatrice géante. Qu’elle se joue en mode dépressif ou en mode exalté, cette petite musique revient à placer les rapports entre musique et algorithme sur une marche du progrès informatique dont l’imaginaire serait donc à jamais déconnectée des humanités. Alors qu’à fouiller l’histoire des musiques algorithmiques, à regarder comment les premiers compositeurs qui ont revendiqué l’usage de l’informatique ont modélisé la musique, les outils qu’ils ont employé devaient traiter de la musique comme d’un langage et, ce faisant, reconduire des paradigmes rhétoriques. Ce numéro de Metaclassique propose de reprendre l’histoire de la musique algorithmique à partir des chaînes de Markov, un processus stochastique qui tire son nom du mathématicien russe, Andreï Markov qui, en 1913, avait expérimenté le fonctionnement de ses chaînes dans un travail de linguistique statistique, en utilisant la séquence des 20 000 lettres d’Eugène Onéguine d’Alexandre Pouchkine. En remarquant que l’apparition de celles-ci dépendait fortement des précédentes, il a donné l’intuition qu’un algorithme pourrait simuler un style préexistant par des déductions de probabilités d’apparition de telle note à la suite de telle autre. C’est-à-dire qu’une inspiration littéraire précède l’usage des algorithmes en musique et fait penser que le discours tient alors dans l’ordre des notes et prolonge l’analogie entre lettres et notes.

Pour faire l’histoire et envisager une actualité de l’usage des chaînes de Markov en musique, nous recevrons Miller Puckette connu de la communauté musicale pour avoir créé les logiciels Max et Pure Data et un compositeur pour lequel il a beaucoup collaboré, Philippe Manoury dont l’œuvre est traversée d’usages très divers et joyeusement variés desdites « chaînes de Markov ». Pour commencer : voici une œuvre de 1956, la Suite Illiac, consacrée comme un point de départ de la musique algorithmique.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Numéros connexes de Metaclassique : #40 – Générer et #222 – Combiner

Metaclassique #234 – Chuchoter

Au début de la radio, il y a une centaine d’années, on s’est dit que l’enregistrement sonore permettant de diffuser la parole plus fort, il pouvait même faire entendre les murmures. Alors que la radio connaissait ses premiers rayonnements dans les années 1920, les romans voyaient se développer le monologue intérieur.

Alors, quand Robin Pharo a décidé d’appeler son ensemble Près dans votre oreille, il en a fait un complice tout trouvé pour tenter de faire l’expérience d’un Metaclassique intégralement chuchoté. Ô mystère : avec un tel protocole, va-t-on mieux savoir jusqu’où peut aller l’intériorité ? Est-il toujours si vrai que l’intériorité est plus profonde que l’extériorité ? Parle-t-on mieux de la musique quand on en parle tout bas ? Et puis pourquoi a-t-on tendance, quand on chuchote, à pouffer de sourire à la fin de presque toutes les répliques ? Aux côtés de Robin Pharo, ce sont la chanteuse Anaïs Bertrand et la gambiste Marion Martineau qui viennent Chuchoter pendant une heure et donner à savourer quelques plages du disque Blessed Echoes, paru sur le label Paraty.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.