Metaclassique #237 – Avouer

Domenico Scarlatti a composé 555 sonates. Un nombre juste assez truculent pour s’attirer une sorte de fétichisme parfois un brin suffisant : « 555 ? – ça alors ! – oh bé dites donc ! » Une fois qu’on a recroquevillé la fascination sur elle-même pour en faire une friandise : que faire d’autre que deviser sur la pertinence des classements ou se lancer le défi de donner l’intégrale ? Avec 555 sonates, on doit pouvoir faire encore d’autres opérations que seulement dérouler les non-concordances entre leurs différents catalogues ou en faire la grande traversée. Déjà, il faudrait s’entendre sur l’ordre. Heureusement, cela est impossible et les sentiments peuvent ainsi reprendre le dessus. Le compositeur Colin Roche a noué un lien sentimental avec les Sonates de Scarlatti et a décidé d’en faire lui-même une édition pour la Maison ONA. Et pour que l’imagination et le désir l’emportent sur l’esprit de catalogue, Metaclassique et l’Abbaye de Royaumont ont invité Colin Roche à travailler un plein week-end avec la pianiste Violaine Debever aux côtés de la romancière Hélène Gestern qui ont aussi été reçu dans la Bibliothèque musicale François-Lang par Thomas Vernet pour découverte de quelques éditions rares des Sonates de Scarlatti que François Lang avait collectionné.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #236 – Osciller

Alvin Lucier en train de donner un concert de ses ondes cérébrales amplifiées

Un jour, Morton Feldman dit à Karlheinz Stockhausen : « Je ne mène pas les sons par le bout du nez ». Et Stockhausen lui répondait par un semblant de question : « Pas même un petit peu ? » (p. 125) L’abandon de la maîtrise du son semble être la condition pour l’observer, mais aussi la direction prise par des compositeurs emblématiques de la musique expérimentale, à commencer par John Cage et Alvin Lucier qui s’est fait comme une spécialité de concevoir des œuvres qui font réfléchir le son dans l’espace, qui laisse se produire ses résonances minimales, jusqu’à utiliser des oscillateurs et se faire une réputation de phénoménologue.

C’est pour un numéro « Osciller » que Metaclassique est accueilli à La Cassette pour entrer plus en détail dans l’œuvre d’Alvin Lucier avec le musicologue Matthieu Saladin qui a fait paraître aux éditions MF un livre d’entretiens avec Alvin Lucier et le pianiste Nicolas Horvath qui été le commanditaire et le créateur de la dernière œuvre du compositeur. Mais pour reprendre la chronologie au début, voici un extrait de sa première œuvre expérimentale, Music for a Solo Performer – une œuvre de 1965 dans laquelle gongs, timbales et grosses caisses vibrent sous l’impulsion de l’encéphalogramme qui capteur les ondes alpha émises en direct par le compositeur.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #235 – Enchaîner

Graphe de Philippe Manoury pour déterminer les probabilités de successions à partir du mi et du sol .

À vouloir réarticuler une pensée après avoir observé les fascinations d’usage devant les performances musicales des algorithmes, on entend se déclencher une petite musique assez mécanique qui dit globalement toujours la même chose : les machines ne devraient plus du tout tarder à pouvoir remplacer les talents naturels ou pour le dire plus positivement, mais sans que le constat soit si différent sur le fond : la créativité humaine n’aura jamais dit son dernier mot puisqu’elle ne fera jamais la même chose qu’une calculatrice géante. Qu’elle se joue en mode dépressif ou en mode exalté, cette petite musique revient à placer les rapports entre musique et algorithme sur une marche du progrès informatique dont l’imaginaire serait donc à jamais déconnectée des humanités. Alors qu’à fouiller l’histoire des musiques algorithmiques, à regarder comment les premiers compositeurs qui ont revendiqué l’usage de l’informatique ont modélisé la musique, les outils qu’ils ont employé devaient traiter de la musique comme d’un langage et, ce faisant, reconduire des paradigmes rhétoriques. Ce numéro de Metaclassique propose de reprendre l’histoire de la musique algorithmique à partir des chaînes de Markov, un processus stochastique qui tire son nom du mathématicien russe, Andreï Markov qui, en 1913, avait expérimenté le fonctionnement de ses chaînes dans un travail de linguistique statistique, en utilisant la séquence des 20 000 lettres d’Eugène Onéguine d’Alexandre Pouchkine. En remarquant que l’apparition de celles-ci dépendait fortement des précédentes, il a donné l’intuition qu’un algorithme pourrait simuler un style préexistant par des déductions de probabilités d’apparition de telle note à la suite de telle autre. C’est-à-dire qu’une inspiration littéraire précède l’usage des algorithmes en musique et fait penser que le discours tient alors dans l’ordre des notes et prolonge l’analogie entre lettres et notes.

Pour faire l’histoire et envisager une actualité de l’usage des chaînes de Markov en musique, nous recevrons Miller Puckette connu de la communauté musicale pour avoir créé les logiciels Max et Pure Data et un compositeur pour lequel il a beaucoup collaboré, Philippe Manoury dont l’œuvre est traversée d’usages très divers et joyeusement variés desdites « chaînes de Markov ». Pour commencer : voici une œuvre de 1956, la Suite Illiac, consacrée comme un point de départ de la musique algorithmique.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Numéros connexes de Metaclassique : #40 – Générer et #222 – Combiner

Metaclassique #234 – Chuchoter

Au début de la radio, il y a une centaine d’années, on s’est dit que l’enregistrement sonore permettant de diffuser la parole plus fort, il pouvait même faire entendre les murmures. Alors que la radio connaissait ses premiers rayonnements dans les années 1920, les romans voyaient se développer le monologue intérieur.

Alors, quand Robin Pharo a décidé d’appeler son ensemble Près dans votre oreille, il en a fait un complice tout trouvé pour tenter de faire l’expérience d’un Metaclassique intégralement chuchoté. Ô mystère : avec un tel protocole, va-t-on mieux savoir jusqu’où peut aller l’intériorité ? Est-il toujours si vrai que l’intériorité est plus profonde que l’extériorité ? Parle-t-on mieux de la musique quand on en parle tout bas ? Et puis pourquoi a-t-on tendance, quand on chuchote, à pouffer de sourire à la fin de presque toutes les répliques ? Aux côtés de Robin Pharo, ce sont la chanteuse Anaïs Bertrand et la gambiste Marion Martineau qui viennent Chuchoter pendant une heure et donner à savourer quelques plages du disque Blessed Echoes, paru sur le label Paraty.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #233 – Postillonner

Avant que Gyorgy Kurtag ne prenne le son des claviers téléphoniques pour en fait le motif musical de certaines pièces de ses Jatekok, avant que quatre notes descendantes jouées au trombone servent de gimmick sur les plateaux télés pour sanctionner une blague pas vraiment drôle, avant que Pierre Boulez n’utilise le code morse pour coder les lettres du nom de Sacher dans Messagesquisse : au 18è siècle, il y avait un petit instrument de musique qui servait uniquement à la communication, pour signaler l’arrivée du courrier postal, qui s’est trouvé cité dans de nombreuses pièces instrumentales de Haendel, Vivaldi, Bach mais encore Duval, Boutmy ou encore Keisler. Pour raconter l’aventure de ce petit instrument qui s’appelle le cor de postillon, nous recevons Alice Julien-Laferrière qui a fait des recherches ; mais aussi Jean-François Madeuf qui l’a fait sonner et le corniste Lucien Julien-Laferrière.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #232 – Encenser

Au moment de la mort d’une grande voix de la chanson ou d’une personnalité du monde artistique, les ministres de la culture peuvent être amenés à faire un portrait nécrologique un peu plus personnalisé que celui des dépêches de presse qui, généralement, accompagnent l’annonce du décès d’un petit mot gentil sur le défunt.

Ce qui pose au moins trois questions : un ministre est-il plus à même de saisir et restituer la vérité du caractère et du destin du défunt qu’un membre de sa famille ? pourquoi le moment de la mort est-il à ce point une heure de vérité ? Et comme le premier concerné est alors privé de tout droit de réponse : dans l’oraison funèbre, l’encenseur parle-t-il plus ou moins de lui qu’il ne parle de l’encensé ?

Enregistré dans l’espace musique de la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou, cette émission reçoit le spécialiste des questions d’inachèvement, de mort et d’hommage dans l’œuvre de György Kurtag, le musicologue Grégoire Tosser. Et puisque l’encensement n’est pas qu’une question musicale, nous nous entretiendrons aussi avec Alexandre Maujean qui publie Le goût de l’adieu au Mercure de France, une anthologie de textes d’Adieux de Périclès à Barack Obama en passant par Mallarmé, Cocteau ou Martin Luther King.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #231 – Arbitrer

Depuis les imitations de chants d’oiseaux par Vivaldi dans les Quatre saisons jusqu’aux polyrythmies du Festin pour 12 percussionnistes de Yan Maresz, le langage musical semble avoir évolué par éloignement de la préoccupation d’en référer à des contenus narratifs. Et si l’idée est admise que la musique est traversée par des figures rhétoriques, l’idée reste débattue de savoir si la musique peut réellement raconter une histoire par les seuls moyens de la musique. Le compositeur Gustav Mahler était lui-même affirmatif du pouvoir évocateur de ses symphonies tout en se donnant la liberté d’en déborder les figures, au point que la musicologue Anne-Claire Scebalt s’est lancée dans une thèse de musicologie en Sorbonne, sous la direction de Jean-Pierre Bartoli, pour fouiller les symphonies de Mahler avec les outils de la sémiotique. Une question apparaît aussitôt : est-ce que les associations de telle figure à tel signe musical ne sont pas arbitraires ? À quoi le linguiste et sémioticien Jean-Marie Klinkenberg prévient que « Tout signe motivé contient une part d’arbitraire, pour la raison qu’il est un signe[1] ». C’est d’ailleurs bien pour arbitrer ce que la sémiotique peut apporter à l’écoute des Symphonies de Mahler que nous avons réuni au Salon Mahler de la Bibliothèque La Grange Fleuret à Paris, la musicologue Anne-Claire Scebalt et le sémioticien Jean-Marie Klinkenberg.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.


[1] Précis de sémiotique générale, Paris, Editions du Seuil, 2000, p. 202.

Metaclassique #230 – Digresser

« l’homme qui, loué à outrance, n’a rien à dire est, qu’il le veuille ou non, un imposteur en position d’éternel porte-à-faux. » est l’une des réflexions du pianiste Andreï Vieru qui, dans un autre livre, écrit que « Celui qui, durant ses introspections, aspire sincèrement à se connaître risque de découvrir des vérités peu flatteuses pour lui. » et que : « La peur de faire de semblables découvertes justifie l’idée suivant laquelle la connaissance de soi serait impossible ». À force de digressions dans un Éloge de la vanité aux éditions Grasset et de l’essai Le gai Ecclésiaste publié au Seuil, Metaclassique a proposé au pianiste et philosophe Andreï Vieru de reprendre le fil de ses pensées sur la sincérité, l’orgueil, l’envie pour trouver un chemin qui fait quelques tours et détours dans le rapport qu’il entretient avec les figures de Bach, de Mozart ou même de Salieri.

Metaclassique #229 – Dicter

En 1964, la medium Rosemary Brown a été contacté par les fantômes de compositeurs de grand renom tels que Liszt, Chopin, Beethoven, Schubert… Avec 1200 partitions à l’actif de la quinzaine de compositeurs qui lui ont dicté, elle est devenue la medium musicienne la plus productive depuis que des mediums écrivent sous dictée de fantômes et a elle-même écrit ses mémoires dans lesquelles, avec une simplicité qui force le constat de bonne foi, elle répond à toutes les objections rationalistes qui ont pu être adressées contre ses dons. Au lieu de rentrer dans un esprit d’arbitrage ou de cesser à la tendance à vouloir à tout prix séparer le vrai et le faux, de nombreuses voix s’intéressent aujourd’hui à Rosemary Brown en commençant par s’abstenir et de défiance et de fascination.

Dans ce numéro de Metaclassique, vous entendrez d’abord Alban Lefranc et Maya Boquet qui ont signé le spectacle L’Énigme Rosemary Brown, le comédien Olivier Normand qui – pour l’émission – prêtera sa voix à celle qui prêter sa main à Liszt, le spécialiste du paranormal sonore Philippe Baudouin et l’auteur Richard Robert qui, a l’Opéra de Lyon, a donné une conférence-piano avec François Mardirossian sur l’histoire de la médium.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #228 – Antiquiser

Pour se faire une idée de la musique préhistorique, on n’aura jamais assez de connaissances tangibles. Mais on pourra toujours compter sur l’imagination et pourquoi pas même sur des jeux de projections sur le futur qui pourraient peut-être réhabiliter quelque chose du passé lointain. Si l’histoire est une activité du présent à propos du passé, sans doute que la préhistoire n’est pas loin d’une activité du quasi-futur à propos du plus-que-passé.

Pour ce numéro « Antiquiser » de Metaclassique, c’est l’artiste auteur chercheur média-archéologue critique performer de récursivité en devenir continu donc non discret, c’est-à-dire spectre multi-situé Benjamin Efrati qui est aussi doctorant à l’EHESS et qui invite autour de la table : la santouriste Ourania Lampropoulou, le clarinettiste Laurent Clouet et l’archéologue Ludovic Mevel, spécialiste des pierres taillées.

Une émission produite et réalisée par Benjamin Efrati pour Metaclassique.

Metaclassique #227 – Ruminer

À rembobiner le langage, on imagine à loisir un moment où les mots n’étaient pas encore très formés, où l’envie de dire quelque chose pouvait se manifester par des borborismes pas assez articulés pour avoir une signification précise. Et même si on a un souvenir très vague de ce moment où, sans savoir ce qu’on disait, on remplissait nos proférations d’un plein désir de l’exprimer, on peut tout de même embrasser ce souvenir avec une nostalgie toute joyeuse au moment de dévisager les ruminants et de projeter sur leurs ruminations une image de ce que pourrait devenir notre pensée si on prenait vraiment le temps de gurgiter et régurgiter les paroles qu’on aurait donc trop vite ingurgitées. Bref, une leçon de poésie pourrait se loger dans l’observation des moutons et des vaches : une leçon qui pourrait peut-être remonter encore plus loin la parole : parce qu’avant d’émettre une voyelle, peut-être est-ce qu’on l’a éructé. Peut-être même que le premier rêve de parole que l’on ait jamais produit était celui d’un rot. Et peut-être que pour former ce rot, fallait-il faire remonter l’origine du langage dans l’étape encore antérieure à la déglutition qui, peut-être encore, était déjà un moment de rumination. C’est donc quelque part vers l’origine du langage que va nous mener aujourd’hui l’artiste Fabrice Hyber. En préparation d’une exposition à la Galerie Duchamp à Yvetot, Fabrice Hyber nous a reçu dans sa vallée, à Mareuil sur Lay, en Vendée, exactement là où il écoute sa voix et la vallée résonner l’une en l’autre et ne cesser de lui faire penser les flux et circuits qui l’amènent à y ruminer en grand l’ensemble de son œuvre.*

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.
Oreille extérieure : Alexandre Mare.

Metaclassique #226 – Reluder

Le 24 mai 1859, Caroline Miolan-Carvalho crée un Ave Maria pour lequel Pierre Zimmerman a mis les paroles latines de la prière Je vous salue Marie sur une mélodie improvisée par Charles Gounod en surimpression du premier Prelude, en do, qui ouvre le Clavier bien tempéré de Jean-Sebastien Bach. Depuis, le chanteur et compositeur Vincent Bouchot a eu l’idée de composer 23 Ave Maria sur les 23 autres préludes que compte le Clavier bien tempéré. D’où l’envie de Metaclassique partagée avec Hemisphere Son de collectionner les reprises de cette matrice de la musique savante occidentale, qu’est devenu le très très fameux Prelude de Bach.  Avant de rejoindre Vincent Bouchot, nous échangerons avec Serge de Laubier qui joue dudit prelude avec un Meta-instrument qu’il développe exprès. Nous échangerons également avec Pierre Boeswillwald qui a assisté Pierre Schaeffer dans la réalisation de son Bilude, œuvre testamentaire qui boucle avec le Bidule qui, en 1950, reprenait le Prélude de Bach. Et pour commencer, nous allons à la rencontre du pianiste Denis Chouillet : lui-même compositeur d’une partition qui reprend les harmoniques du Prelude en do de Chostakovitch pour les remettre dans le mouvement du Prelude en do de Bach, Denis Chouillet a enregistré Je me souviens de do dièse majeur dans un prélude en do majeur de Jean-Sébastien Bach de Frédéric Lagnau. Et, pour ouvrir cette heure Metaclassique à « reluder », voici le Prelude en do composé par François Sarhan pour le pianiste Antony Gray.