Carl Hermann Unthan est né sans bras. À l’âge de 6 ou 7 ans, il a découvert par hasard la possibilité de jouer du violon avec ses pieds, en fixant l’instrument sur une caisse posée au sol. Un jour qu’il se produisait à Budapest, Franz Liszt est venu le féliciter en lui tapotant la joue et l’épaule. Une cinquantaine d’années après ces compliments, Unthan écrivait : « Qu’est-ce qui me fit douter de la sincérité de son enthousiasme ? Qu’est-ce qui me le fit paraître factice ? » Le philosophe commente :
« Ces questions, rédigées un demi-siècle après la scène décrite, avaient la signification d’un symptôme : elles rappelaient à l’auteur un temps lointain dans lequel l’illusion qu’il pouvait être pris au sérieux comme musicien, et non comme curiosité, ne s’était pas encore éteinte. »
Liszt n’aurait donc pu être sincère, parce que le spectacle que lui donnait le violoniste n’aurait pas été de la vraie musique, la situation étant débordée par l’image de l’infirme qui dépasse sa condition. Sauf que : le virtuose est dans la même tension, Peter Sloterdijk ajouter : « Liszt, lui-même ancien enfant prodige, savait par expérience quelle sorte de vie attend les virtuoses de toute nature. Et il devait d’autant plus deviner ce qui attend un jeune homme qui parcourra le monde en tant que vainqueur d’un caprice de la nature. »
Maintenant, quand écoute un pianiste qui joue une œuvre pour la seule main gauche : est-ce qu’on écoute simplement la musique ou l’effort qu’il a fallu pour compenser que la non-intervention de la main droite jusqu’à l’émotion du dépassement de soi.
Même s’il est valide de ses deux mains, le pianiste Maxime Zecchini s’est lancé depuis quelques années dans un défi : enregistrer 10 albums de musique pour main gauche seule, pour célébrer le répertoire pour main gauche.
Une émission produite et réalisée par David Christoffel.
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