Metaclassique #233 – Postillonner

Avant que Gyorgy Kurtag ne prenne le son des claviers téléphoniques pour en fait le motif musical de certaines pièces de ses Jatekok, avant que quatre notes descendantes jouées au trombone servent de gimmick sur les plateaux télés pour sanctionner une blague pas vraiment drôle, avant que Pierre Boulez n’utilise le code morse pour coder les lettres du nom de Sacher dans Messagesquisse : au 18è siècle, il y avait un petit instrument de musique qui servait uniquement à la communication, pour signaler l’arrivée du courrier postal, qui s’est trouvé cité dans de nombreuses pièces instrumentales de Haendel, Vivaldi, Bach mais encore Duval, Boutmy ou encore Keisler. Pour raconter l’aventure de ce petit instrument qui s’appelle le cor de postillon, nous recevons Alice Julien-Laferrière qui a fait des recherches ; mais aussi Jean-François Madeuf qui l’a fait sonner et le corniste Lucien Julien-Laferrière.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #232 – Encenser

Au moment de la mort d’une grande voix de la chanson ou d’une personnalité du monde artistique, les ministres de la culture peuvent être amenés à faire un portrait nécrologique un peu plus personnalisé que celui des dépêches de presse qui, généralement, accompagnent l’annonce du décès d’un petit mot gentil sur le défunt.

Ce qui pose au moins trois questions : un ministre est-il plus à même de saisir et restituer la vérité du caractère et du destin du défunt qu’un membre de sa famille ? pourquoi le moment de la mort est-il à ce point une heure de vérité ? Et comme le premier concerné est alors privé de tout droit de réponse : dans l’oraison funèbre, l’encenseur parle-t-il plus ou moins de lui qu’il ne parle de l’encensé ?

Enregistré dans l’espace musique de la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou, cette émission reçoit le spécialiste des questions d’inachèvement, de mort et d’hommage dans l’œuvre de György Kurtag, le musicologue Grégoire Tosser. Et puisque l’encensement n’est pas qu’une question musicale, nous nous entretiendrons aussi avec Alexandre Maujean qui publie Le goût de l’adieu au Mercure de France, une anthologie de textes d’Adieux de Périclès à Barack Obama en passant par Mallarmé, Cocteau ou Martin Luther King.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #231 – Arbitrer

Depuis les imitations de chants d’oiseaux par Vivaldi dans les Quatre saisons jusqu’aux polyrythmies du Festin pour 12 percussionnistes de Yan Maresz, le langage musical semble avoir évolué par éloignement de la préoccupation d’en référer à des contenus narratifs. Et si l’idée est admise que la musique est traversée par des figures rhétoriques, l’idée reste débattue de savoir si la musique peut réellement raconter une histoire par les seuls moyens de la musique. Le compositeur Gustav Mahler était lui-même affirmatif du pouvoir évocateur de ses symphonies tout en se donnant la liberté d’en déborder les figures, au point que la musicologue Anne-Claire Scebalt s’est lancée dans une thèse de musicologie en Sorbonne, sous la direction de Jean-Pierre Bartoli, pour fouiller les symphonies de Mahler avec les outils de la sémiotique. Une question apparaît aussitôt : est-ce que les associations de telle figure à tel signe musical ne sont pas arbitraires ? À quoi le linguiste et sémioticien Jean-Marie Klinkenberg prévient que « Tout signe motivé contient une part d’arbitraire, pour la raison qu’il est un signe[1] ». C’est d’ailleurs bien pour arbitrer ce que la sémiotique peut apporter à l’écoute des Symphonies de Mahler que nous avons réuni au Salon Mahler de la Bibliothèque La Grange Fleuret à Paris, la musicologue Anne-Claire Scebalt et le sémioticien Jean-Marie Klinkenberg.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.


[1] Précis de sémiotique générale, Paris, Editions du Seuil, 2000, p. 202.

Metaclassique #230 – Digresser

« l’homme qui, loué à outrance, n’a rien à dire est, qu’il le veuille ou non, un imposteur en position d’éternel porte-à-faux. » est l’une des réflexions du pianiste Andreï Vieru qui, dans un autre livre, écrit que « Celui qui, durant ses introspections, aspire sincèrement à se connaître risque de découvrir des vérités peu flatteuses pour lui. » et que : « La peur de faire de semblables découvertes justifie l’idée suivant laquelle la connaissance de soi serait impossible ». À force de digressions dans un Éloge de la vanité aux éditions Grasset et de l’essai Le gai Ecclésiaste publié au Seuil, Metaclassique a proposé au pianiste et philosophe Andreï Vieru de reprendre le fil de ses pensées sur la sincérité, l’orgueil, l’envie pour trouver un chemin qui fait quelques tours et détours dans le rapport qu’il entretient avec les figures de Bach, de Mozart ou même de Salieri.

Metaclassique #229 – Dicter

En 1964, la medium Rosemary Brown a été contacté par les fantômes de compositeurs de grand renom tels que Liszt, Chopin, Beethoven, Schubert… Avec 1200 partitions à l’actif de la quinzaine de compositeurs qui lui ont dicté, elle est devenue la medium musicienne la plus productive depuis que des mediums écrivent sous dictée de fantômes et a elle-même écrit ses mémoires dans lesquelles, avec une simplicité qui force le constat de bonne foi, elle répond à toutes les objections rationalistes qui ont pu être adressées contre ses dons. Au lieu de rentrer dans un esprit d’arbitrage ou de cesser à la tendance à vouloir à tout prix séparer le vrai et le faux, de nombreuses voix s’intéressent aujourd’hui à Rosemary Brown en commençant par s’abstenir et de défiance et de fascination.

Dans ce numéro de Metaclassique, vous entendrez d’abord Alban Lefranc et Maya Boquet qui ont signé le spectacle L’Énigme Rosemary Brown, le comédien Olivier Normand qui – pour l’émission – prêtera sa voix à celle qui prêter sa main à Liszt, le spécialiste du paranormal sonore Philippe Baudouin et l’auteur Richard Robert qui, a l’Opéra de Lyon, a donné une conférence-piano avec François Mardirossian sur l’histoire de la médium.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #228 – Antiquiser

Pour se faire une idée de la musique préhistorique, on n’aura jamais assez de connaissances tangibles. Mais on pourra toujours compter sur l’imagination et pourquoi pas même sur des jeux de projections sur le futur qui pourraient peut-être réhabiliter quelque chose du passé lointain. Si l’histoire est une activité du présent à propos du passé, sans doute que la préhistoire n’est pas loin d’une activité du quasi-futur à propos du plus-que-passé.

Pour ce numéro « Antiquiser » de Metaclassique, c’est l’artiste auteur chercheur média-archéologue critique performer de récursivité en devenir continu donc non discret, c’est-à-dire spectre multi-situé Benjamin Efrati qui est aussi doctorant à l’EHESS et qui invite autour de la table : la santouriste Ourania Lampropoulou, le clarinettiste Laurent Clouet et l’archéologue Ludovic Mevel, spécialiste des pierres taillées.

Une émission produite et réalisée par Benjamin Efrati pour Metaclassique.

Metaclassique #227 – Ruminer

À rembobiner le langage, on imagine à loisir un moment où les mots n’étaient pas encore très formés, où l’envie de dire quelque chose pouvait se manifester par des borborismes pas assez articulés pour avoir une signification précise. Et même si on a un souvenir très vague de ce moment où, sans savoir ce qu’on disait, on remplissait nos proférations d’un plein désir de l’exprimer, on peut tout de même embrasser ce souvenir avec une nostalgie toute joyeuse au moment de dévisager les ruminants et de projeter sur leurs ruminations une image de ce que pourrait devenir notre pensée si on prenait vraiment le temps de gurgiter et régurgiter les paroles qu’on aurait donc trop vite ingurgitées. Bref, une leçon de poésie pourrait se loger dans l’observation des moutons et des vaches : une leçon qui pourrait peut-être remonter encore plus loin la parole : parce qu’avant d’émettre une voyelle, peut-être est-ce qu’on l’a éructé. Peut-être même que le premier rêve de parole que l’on ait jamais produit était celui d’un rot. Et peut-être que pour former ce rot, fallait-il faire remonter l’origine du langage dans l’étape encore antérieure à la déglutition qui, peut-être encore, était déjà un moment de rumination. C’est donc quelque part vers l’origine du langage que va nous mener aujourd’hui l’artiste Fabrice Hyber. En préparation d’une exposition à la Galerie Duchamp à Yvetot, Fabrice Hyber nous a reçu dans sa vallée, à Mareuil sur Lay, en Vendée, exactement là où il écoute sa voix et la vallée résonner l’une en l’autre et ne cesser de lui faire penser les flux et circuits qui l’amènent à y ruminer en grand l’ensemble de son œuvre.*

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.
Oreille extérieure : Alexandre Mare.

Metaclassique #226 – Reluder

Le 24 mai 1859, Caroline Miolan-Carvalho crée un Ave Maria pour lequel Pierre Zimmerman a mis les paroles latines de la prière Je vous salue Marie sur une mélodie improvisée par Charles Gounod en surimpression du premier Prelude, en do, qui ouvre le Clavier bien tempéré de Jean-Sebastien Bach. Depuis, le chanteur et compositeur Vincent Bouchot a eu l’idée de composer 23 Ave Maria sur les 23 autres préludes que compte le Clavier bien tempéré. D’où l’envie de Metaclassique partagée avec Hemisphere Son de collectionner les reprises de cette matrice de la musique savante occidentale, qu’est devenu le très très fameux Prelude de Bach.  Avant de rejoindre Vincent Bouchot, nous échangerons avec Serge de Laubier qui joue dudit prelude avec un Meta-instrument qu’il développe exprès. Nous échangerons également avec Pierre Boeswillwald qui a assisté Pierre Schaeffer dans la réalisation de son Bilude, œuvre testamentaire qui boucle avec le Bidule qui, en 1950, reprenait le Prélude de Bach. Et pour commencer, nous allons à la rencontre du pianiste Denis Chouillet : lui-même compositeur d’une partition qui reprend les harmoniques du Prelude en do de Chostakovitch pour les remettre dans le mouvement du Prelude en do de Bach, Denis Chouillet a enregistré Je me souviens de do dièse majeur dans un prélude en do majeur de Jean-Sébastien Bach de Frédéric Lagnau. Et, pour ouvrir cette heure Metaclassique à « reluder », voici le Prelude en do composé par François Sarhan pour le pianiste Antony Gray.

Metaclassique #225 – Arpéger

@ Le Philtre

Un arpège est une suite de notes qui se déplie dans le temps tout en faisant partie du même accord. L’accord Do Mi Sol par exemple, peut aussi bien être plaqué ou arpégé, si bien qu’on peut parler d arpège comme d’une technique de composition, mais aussi une technique d’ornementation qui dépend des instruments. Et c’est là que des questions de style vont venir s’incruster dans des questions de facture. Une des grandes leçons contenues dans ce Metaclassique « Arpéger » étant qu’on arpège pas de la même manière au clavecin et à l’orgue. C’est dans le cadre du séminaire de recherche conçu par Anne de Fornel au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon, que Davitt Moroney et Benjamin Alard, tous les deux claveciniste et organiste, se sont prêtés à une présentation sur le seul thème de l’arpègement dans la musique de Bach. La séance commençait aussitôt par une question : et si Bach avait été plus organiste que claveciniste, est-ce que cela aurait changé sa manière d’arpéger ou est-ce que, pour commencer, le fait qu’il ait pratiqué les deux instruments explique tant de choses sur sa musique ?

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #224 – Détonner

Dans une interview qu’il se donnait à lui même en 1962, quelques semaines avant sa mort, le compositeur Hanns Eisler affirmait qu’il n’y a pas d’évolution autonome du matériau musical en soi. Ce n’est que dans son rapport contradictoire avec la société que la musique se développe. Et c’est probablement parce qu’il n’était pas dupe des révolutions musicales qui viendraient se revendiquer en toute indépendance de quelque révolution sociale que Hanns Eisler a pu afficher une liberté musicale aussi franche en composant aussi bien des sonates que des lieders, des pièces de cabaret que des œuvres chorales encore reprises aujourd’hui en chant de manifestation en Allemagne. Et comme son œuvre est portée par un esprit détonnant, c’est bien pour un numéro « Détonner » que Metaclassique s’engage à faire cette semaine le portrait du compositeur. En réunissant dans le salon Mahler de la Bibliothèque La Grange Fleuret à Paris, par ordre d’apparition dans l’émission : la chanteuse et chercheuse Marie Soubestre, le musicologue Pascal Huynh, le petit-fils de Hanns Eisler et poète Daniel Pozner et le guitariste et membre du groupe Das Kapital, Hasse Poulsen.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #223 – Surveiller

Quand on fait l’histoire rétrospective de l’audio-naturalisme, on peut prendre pour point de départ Ludwig Koch qui, dès 1889, semble le premier à avoir approché un phonographe assez près d’un oiseau pour l’enregistrer. Dans l’idée de Ludwig Koch, le bon enregistrement du monde animal consiste donc à faire comme si on n’était pas là, comme si l’humain pouvait s’infiltrer dans la nature sans l’ombre d’une perturbation. C’est pourquoi les bruits de aéroplanes lui semblent parasitaires, même si l’oiseau ne fait peut être jamais aussi bien le bruit qu’il veut capter qu’au moment où passe l’aéroplane. Puisque l’aéroplane, dès lors, participait de l’excitation de l’oiseau. Dans le même esprit, tenu comme une figure tutélaire dans le domaine du field-recording, Bernie Krause va capter des sons de la forêt en faisant le moins de bruit possible et en s’éloignant au maximum de toute source de sons d’origine humaine. Et pour cause, il cherche depuis de longues années à s’échapper de ce qu’il appelle la cacophonie humaine pour mieux capter ce qu’il veut entendre comme le grand orchestre des animaux. Mais cette séparation entre nature et culture n’est décidément pas si intuitive, puisque en faisant entendre les field-recordings de Bernie Krause à des enfants, ceux-là reconstituent un imaginaire de la forêt, c’est-à-dire de conte, avec une maison et des humains jamais très loin et même pas toujours très menaçants.

Mais peut-être que dans cette histoire de l’audio-naturalisme, une fracture a discrètement commencé en 2017 quand, à la suite de l’élection de Donald Trump et de l’explosion des fake news, un étudiant américain, Peter McIndoe a lancé une théorie du complot ouvertement parodique intitulée Birds aren’t real, qui annonce à coup de pancartes, propagandes au mégaphone et autres conférences TED que les oiseaux ont tous été tués dans les années 1970 pour être remplacés par des drones qui ont pour mission d’espionner les citoyens pour le compte de la Maison-Blanche. Pour explorer les conséquences musicologiques de ce qui pourrait donc être un bouleversement dans l’histoire de l’écologie sonore, nous avons proposé aux étudiants de licence du département de musicologie de l’Université d’Évry de prolonger par la fiction radiophonique et pour Metaclassique, un partiel au cours duquel ils avaient commencé à imaginer ce qui pourrait arriver dans un scénario qui mettrait en scène dans une forêt un chasseur, un field recorder, un militant Bird aren’t real et un tape musicien.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #222 – Combiner

Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Vos beaux yeux, belle marquise, mourir d’amour me font… C’est dans la scène 4 de l’acte II du Bourgeois gentilhomme de Molière que le maître de philosophie donne une leçon à Monsieur Jourdain qui, tout en apprenant qu’il fait de la prose sans savoir, s’aperçoit que la meilleure manière de mettre la phrase en ordre est encore celle qui lui est été apparue spontanément. Un peu comme si la leçon de Monsieur Jourdain n’avait pas été entendue, on a vu fleurir au milieu du XVIIIᵉ siècle des partitions combinatoires qui permutaient des fragments de phrases musicales pour en démultiplier les possibilités d’agencement en nombre astronomique. Et puis, en 1821, le mécanicien horloger amstellodamois dit Diederich Nikolaus Winkel, a confectionné un componium, un automate capable d’improviser de la musique pour retracer l’histoire de ce premier improvisateur mécanique. Les micros de Metaclassique sont allés à la rencontre de son unique exemplaire au Musée des instruments de musique de Bruxelles et du responsable des collections d’instruments électriques, électroniques et d’automates et musicologue Wim Verhulst. Au cours de l’émission, vous entendrez aussi les expertises de John van Tiggelen qui, dans les années 1980, a démonter et remonter ledit compendium pour pouvoir en décrire le fonctionnement par le menu et lui consacrer une thèse ; ainsi que Martin Paris, ce qui, au musée Speelklok à Utrecht, a construit en 2021 une réplique du componium en version réduite, mécaniquement fidèle à l’instrument de Winkel. Mais comme le Bourgeois Gentilhomme a pu le montrer, c’est bien au XVIIᵉ siècle que l’art combinatoire a réellement décollé. Le premier savant à avoir calculé le nombre de mélodies que l’on pouvait faire avec cinq ou six ou sept notes, étant le polymathe Marin Mersenne, nous entendrons depuis Santa Fé en Argentine, celle qui a réfléchi à la pensée mathématique de la musique de Mersenne, la philosophe Brenda Basilico.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.