Metaclassique #177 – Oeuvrer

Il ne fait aucun doute qu’un personne qui écrit une partition fait de la musique. Il ne fait aucun doute qu’une personne qui joue cette partition fait de la musique. Pourtant, là où il ne fait aucun doute que celle qui compose fait une œuvre, il n’est pas si facilement octroyé à celle qui l’exécute que son œuvre d’interprétation est une œuvre. Il n’empêche qu’en jazz, on numérote les prises comme, en classique, on numérote les opus, c’est-à-dire les œuvres.

Au début des années 1980, un musicologue italien de 25 ans, Vincenzo Caporaletti a commencé une thèse qui cherchait à définir le swing. Une notion sur laquelle les musicologues occupés à analyser des partitions restaient particulièrement secs. Au moment de soutenir sa thèse, en 1984, il avance le « principe audiotactile » pour décrire tout ce qui, dans la musique, ne peut se laisser appréhender par une seule analyse des supports écrits de la musique.

Et ce « principe audiotactile » a été un tournant dans la vie d’un pianiste et musicologue français, né la même année que Caporaletti : Laurent Cugny qui a publié aux éditions Symétrie un premier tome du projet Recentrer la musique, premier tome consacré à l’audiotactilité. Pour discuter de son ouvrage et réfléchir autour du verbe « œuvrer », Metaclassique l’accueille au Salon Mahler de la Bibliothèque La Grange Fleuret en compagnie de deux autres invités qu’il a lui-même choisi : la musicologue Violaine Anger et le philosophe Bernard Sève.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #176 – Définir

Quand on cherche une définition, on peut toujours aller consulter un dictionnaire. Au lieu de tout de suite s’en remettre à l’autorité des académiciens, on peut aussi faire circuler la parole. Pour ce numéro « Définir » de Metaclassique, nous avons réuni trois musiciens qui ont pour point commun d’avoir, dans les dernières semaines, sorti un disque avec des œuvres de Jean-Sébastien Bach. Vous allez donc pouvoir entendre la claveciniste Lilian Gordis et les pianistes Dimitri Malignan et Dimitri Papadopoulos échanger autour d’un mot si rare qu’il peut passer pour mystérieux : le mot « dianoétique ». Comme le jeu du dictionnaire peut aussi trouver du relief sur des mots connus pour être transparents, nos invités échangeront leur définition du mot « lumière » associée à l’écoute d’une autre plage de l’un des trois disques. Mais d’abord, nous ouvrons l’émission à la recherche de la définition d’un mot relativement courant chez les interprètes même s’ils n’en ont pas tous la même définition : le mot « agogique » qui sera débattu par nos trois invités, après l’écoute d’un extrait de l’Allemande de la Partita en ré majeur BWV 828 de Bach.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel, enregistrée au Studio SACD.

Metaclassique #175 – Iriser

Le 18 juin 1799, seulement quelques mois avant l’entrée dans le siècle romantique, Novalis écrivait : « Le son ne semble être qu’un mouvement brisé, au sens où la couleur est de la lumière décomposée. » Tout ce que la musique peut alors nous donner à entendre est en effet relié à quelque chose d’absolu, pour peu que l’on sente en effet que tout ce qu’on en reçoit est une version irisée d’un inconditionné. À l’heure où Novalis multiplie les fragments poétiques pour que se faufile, entre ses faisceaux de pensée, un saisissement plein, les nouvelles possibilités sonores développe une technique sans précédent, qu’on a alors appelé le « jeu céleste ».

Pour ce numéro Iriser en partenariat avec l’association La Nouvelle Athènes – Centre de pianos romantiques, Metaclassique est installé à l’Arcal avec Luca Montebugnoli que nous entendrons déployer et expliquer ledit « jeu céleste » sur un piano Erard de 1806 et Olivier Schefer que nous interrogerons en qualité de spécialiste de Novalis. Novalis qui disait aussi : « Comme les sons de la harpe éolienne, les objets doivent se présenter en une fois, sans causalité – sans trahir leur instrument. »

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #174 – Etriller

À force de pousser la voix jusqu’à des limites dont ses phrases peuvent ne pas sortir indemnes, la voix d’Antonin Artaud peut sonner perçante, ce n’est pas pour des raisons uniquement sonores. C’est aussi que sa pensée n’a pas assez de forcer le langage pour en étriller les logiques. Quelle forme la musique peut prendre pour soutenir ou co-démembrer ou exciter une nécessité d’éruption si ultime ? Et d’ailleurs, pourquoi les musiciens qui se sont occupés de faire œuvre sonore avec la poésie d’Artaud évoluent-ils si souvent dans le domaine électro-acoustique ?

À cette question, la philosophe Pauline Nadrigny a offert des éléments de réponse. Dans l’ouvrage collectif Orphée dissipé, elle imagine notamment un lien logique et conséquent entre la force autant libératrice que contestatrice des glossolalies d’Artaud et les opérations de répétition et variation qui se spécialisent dans les manipulations électroacoustiques du son. C’est en complicité avec Hémisphère son et sans la moindre crainte que la question puisse s’en trouver diffractée que Metaclassique est accueilli cette semaine par La Cassette pour mieux réunir : une invitée mystère, un compositeur artaudien et un professeur émérite des universités.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Un numéro en partenariat avec Hémisphère Son.

Metaclassique #173 – Empelliculer

Dans un essai intitulé Opera Mundi, La seconde vie de l’opéra, le philosophe Mehdi Belaj Kacem avait une formule ouvertement paradoxale qui soutenait que « C’est l’opéra qui est la seconde vie du cinéma, pas le contraire. » Avant que le débat ne devienne esthétique, il a d’abord été pratique : autour de 1900, quand le cinéma a cherché l’attention du public, il a eu besoin des compétences des gens d’opéra pour mieux la trouver. Si les destins de l’opéra et du cinéma sont maintenant a minima indémêlables l’un de l’autre, c’est peut-être parce qu’au départ, les techniques de jeu et les mondes de confection ont beaucoup circulé de l’opéra au cinéma. À l’occasion de la parution du livre De la scène à la pellicule aux éditions L’Œil d’Or, c’est dans le Salon Mahler de la Bibliothèque La Grange Fleuret que Metaclassique accueille cette semaines trois voix qui ont contribué à l’ouvrage : Alain Carou, qui a été conservateur des collections vidéo de la BnF, spécialisé dans le cinéma muet français, Quentin Gailhac qui prépare une thèse en phénoménologie de la musique et la pianiste Anne Le Bozec qui a joué des partitions spécialement composé par la pellicule, en même que la partition que l’on prend pour la première musique de film : L’Assassinat du duc de Guise de Camille Saint-Saëns.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #172 – Créer

Dans les communications des « fédérations de composition », il est de moins en moins question de « musique contemporaine » et de plus en plus de « musique de création ». En même temps qu’il permet de recouvrir des réalités sonores imaginées plus variées que l’intitulé « musique contemporaine », le syntagme « musique de création » laisse encore très ouverte la question de savoir ce qu’on peut entendre par le mot « création ». En prolongement du numéro « Emerger » de la semaine dernière, il sera à nouveau question dans cette heure d’envisager des possibles et de choisir parmi eux.

Alors que les éditions Delatour font paraître le livre Créations musicales. Une approche philosophique de Véronique Verdier. Pour la philosophe, il s’agit moins de faire un état des lieux de la création musicale, que de montrer que l’expérience musicale, lorsqu’elle est créatrice, sécrète un potentiel de transformation : du réel, de l’écoute, mais aussi de soi. Pour rentrer plus en détail dans des enjeux que Véronique Verdier partage avec divers compositeurs (en effet) contemporains, nous accueillons la philosophe en compagnie de deux compositeurs qu’elle a interrogé dans le cadre de son enquête : Jean-Luc Hervé et Philippe Leroux grâce auquel cette émission a pu être enregistré dans les studios de l’IRCAM.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #171 – Emerger

« Un autre monde est possible », annonçait un candidat de gauche. Dans un autre temps, un candidat de droite promettait : « Ensemble tout devient possible ». Au-delà des camps, il est bien naturel pour les prétendants au pouvoir de vouloir rendre possible un monde nouveau. Sur ce, les militants ardents espèrent qu’ils arriveront un jour, pendant que des musiciens peuvent sembler se tenir à l’écart quand ils se réfugient à la table de travail de compositions solitaires qui, à bien les examiner, n’œuvrent pas moins certainement à réunir les conditions les plus favorables pour faire émerger des mondes sonores nouveaux. D’ailleurs, il suffirait par là-dessus que des philosophes se mêlent à la discussion pour désigner les concepts à l’œuvre de part et d’autre et mieux dessiner un horizon commun entre les aspirations utopiques des musiques qui cherchent à faire émerger du nouveau et les configurations intellectuelles qui permettre de penser un autre monde possible. C’est bien dans cette intention que Metaclassique réunit cette semaine, dans l’espace musique de la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou : le compositeur Geoffroy Drouin qui a fait paraître, en 2017 aux éditions Delatour, l’ouvrage Émergence et dialectique en musique et deux chercheurs : la philosophe Haud Guéguen et le professeur en sciences politiques Laurent Jeanpierre qui publient, en 2022 aux éditions La Découverte, La perspective du possible.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #170 – Barrer

Sur les partitions musicales, le signe de la double barre de mesure signifie qu’une séquence ou qu’un morceau se termine. Symbole de fin, la double-barre peut aussi servir à marquer un nouveau début, un changement de régime et, pourquoi pas, devenir l’emblème d’un mouvement révolutionnaire. C’est ce que vous propose d’explorer les étudiants de la classe de culture musicale du CNSMD de Lyon. Dans ce numéro « Barrer » de Metaclassique, ils vous proposent une fiction radiophonique qui imagine comment une prise d’indépendance de leur institution par rapport à l’Etat français pourrait conduire à des questions concrètes : comme par exemple, la constitution qui devra réorganiser les liens entre les départements, l’annexion de la Saône qui sépare le bâtiment principal de celui où les cours de danse sont dispensés, l’indépendance alimentaire du conservatoire complètement autogéré – autant de questions de démocratie archi-locale qui pourraient métaboliser un débat musicologique jusque-là sous-investi, comme : faut-il préférer les simples ou les doubles barres de mesure ? Par ordre d’apparition, vous entendrez donc : Nathan Magrecki, Irène Hontang, Cassandre BB et Esther Bry, mais encore les étudiantes, étudiants et quelques professeurs du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon interpellé sur l’autonomie nouvelle de l’établissement – avec la complicité du Centre Culturel de Rencontre d’Ambronay qui a pu accueillir les doubles barristes dans le cadre d’une session spéciale conçue et animée par l’écrivain et meta-médiateur Joël Kerouanton.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #169 – Mixer

(c) Nelson Castro

Au moment du mixage, on ne manque pas de régler la balance entre les instruments. On vise le bon niveau de gain qu’il faut donner à la clarinette pour qu’elle se loge au plus juste dans le son du piano, par exemple. Ce faisant, on touche au contour de l’alliage des timbres en présence. Et, pendant qu’on y est, on ne devrait pas se priver de mettre un filtre sur tel instrument, d’en retravailler le spectre harmonique et de ne pas se priver des possibilités technologiques offertes par les recherches électroacoustiques. Investie dans toute la force quasiment alchimique qu’elle peut prendre, l’étape du mixage peut devenir tellement déterminante que le compositeur Denis Levaillant a très tôt installé, chez lui, tout le matériel nécessaire pour mixer ses disques à domicile. Pour documenter ses échanges avec son ingénieur du son, Metaclassique a tendu ses micros de l’autre côté de la console en captant une séance de mix avec Denis Levaillant et Pierre Jacquot dans le studio personnel du compositeur.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #168 – Cheminer

(c) Samuel Gratacap

Pour faire connaissance avec un compositeur, nous pourrions faire un entretien, une sorte de portrait. Au lieu de quoi, avec le compositeur Bastien David, nous avons décidé de faire ensemble du chemin. Parce qu’avant de faire le projet d’une émission, nous avons d’abord passer un pacte : nous donner rendez-vous 24 fois, à des heures chaque fois différentes. Alors que nous en sommes à une dizaine de rendez-vous enregistré, vous entendrez dans l’heure qui vient un parcours qui chemine entre une rencontre impromptue dans un TGV à 18 h, une discussion enregistrée à 4 heures du matin, le 14 juillet dernier, près des Tuileries, entrecoupée d’une répétition en milieu de journée avec les percussionnistes de la compagnie les Insectes en résidence à l’Abbaye de Royaumont pour terminer par une promenade au Bois de Boulogne quelques jours plus tôt à 16 h. Dans ce chemin, tout commence ici par le troisième rendez-vous du pacte : un rendez-vous au tout début de l’année 2021, sur la Butte Montmartre à Paris, à 5 heures du matin.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #167 – Incomprendre

Franco Donatoni

« Selon l’hypothèse des rebonds réciproques entre les termes de la correspondance, on peut imaginer que l’erreur provient d’un conséquent antérieur, dans lequel la séparation présumée entre matière sonore et détermination formante se serait produite ; ladite erreur pourrait donc consister en la certitude même que la séparation s’est produite, une certitude découlant d’un acte d’affirmation volontaire d’attitudes actives tendant à la réussite. »

Voilà une phrase qui semble compréhensible, qui ne l’est peut-être pas pleinement, mais qui l’est donc en partie ou en fonction des reconfigurations que le lecteur est bien en droit d’entamer. Cette phrase est extraite de la traduction en français d’un livre composé en italien par le compositeur Franco Donatoni et publié, en 1970, sous le titre Questo.

Si ce texte est réputé à la limite de l’incompréhensible, c’est qu’il y a au moins deux zones qui bordent cette limite : une limite interne où l’on est au bord de ne plus rien comprendre tout en comprenant encore un peu quelque chose au point d’être possiblement excité à l’idée de comprendre ce qu’on n’avait jusque-là jamais eu l’occasion de saisir, une limite externe où l’on ne comprend plus vraiment tout en sentant respirer le désir de saisir un début d’au-delà du compréhensible. Alors que les éditions Aedam Musicae font paraître en 2022 « ça » – la traduction française de Laurent Feneyrou de Questo de Donatoni, Metaclassique a proposé aux forces vives du master Arts théorie et pratiques de l’ENS d’en imaginer une adaptation radiophonique.

Entre quasi-incompréhension, dé-compréhension ou post-mé-compréhension, vous allez entendre les créations de Alice Hoggett, Cloé Calame, Cléo Grousset, Elise Gérardin, Thibault Gaillard, Auriane Landon, Barnabé Geufroi, Adonis Lagarias, Capucine Porphire et Rémy Giaccobo.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Avec l’aimable autorisation de Laurent Feneyrou et des éditions Aedam Musicae.

Metaclassique #166 – Errer

Interpeller un musicien juif sur la part d’errance qu’il peut y avoir dans sa musique, c’est forcément stéréotypé, c’est au moins à moitié faux et très pleinement réducteur. Mais comme l’héritage est là, dans sa force et sa beauté, il reste qu’une histoire d’errance se raconte quand même – et mérite donc de se réfléchir à la fois avec et au-delà des seules questions d’héritage. Alors, pour évoquer l’errance, nous recevons le compositeur David Achenberg et le violoniste Ami Flammer. L’un préfère largement parler de mouvement que d’errance alors que l’autre trouve justement de grandes réjouissances à errer et penser l’élaboration de sa musique comme une errance.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.