Metaclassique #173 – Empelliculer

Dans un essai intitulé Opera Mundi, La seconde vie de l’opéra, le philosophe Mehdi Belaj Kacem avait une formule ouvertement paradoxale qui soutenait que « C’est l’opéra qui est la seconde vie du cinéma, pas le contraire. » Avant que le débat ne devienne esthétique, il a d’abord été pratique : autour de 1900, quand le cinéma a cherché l’attention du public, il a eu besoin des compétences des gens d’opéra pour mieux la trouver. Si les destins de l’opéra et du cinéma sont maintenant a minima indémêlables l’un de l’autre, c’est peut-être parce qu’au départ, les techniques de jeu et les mondes de confection ont beaucoup circulé de l’opéra au cinéma. À l’occasion de la parution du livre De la scène à la pellicule aux éditions L’Œil d’Or, c’est dans le Salon Mahler de la Bibliothèque La Grange Fleuret que Metaclassique accueille cette semaines trois voix qui ont contribué à l’ouvrage : Alain Carou, qui a été conservateur des collections vidéo de la BnF, spécialisé dans le cinéma muet français, Quentin Gailhac qui prépare une thèse en phénoménologie de la musique et la pianiste Anne Le Bozec qui a joué des partitions spécialement composé par la pellicule, en même que la partition que l’on prend pour la première musique de film : L’Assassinat du duc de Guise de Camille Saint-Saëns.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #172 – Créer

Dans les communications des « fédérations de composition », il est de moins en moins question de « musique contemporaine » et de plus en plus de « musique de création ». En même temps qu’il permet de recouvrir des réalités sonores imaginées plus variées que l’intitulé « musique contemporaine », le syntagme « musique de création » laisse encore très ouverte la question de savoir ce qu’on peut entendre par le mot « création ». En prolongement du numéro « Emerger » de la semaine dernière, il sera à nouveau question dans cette heure d’envisager des possibles et de choisir parmi eux.

Alors que les éditions Delatour font paraître le livre Créations musicales. Une approche philosophique de Véronique Verdier. Pour la philosophe, il s’agit moins de faire un état des lieux de la création musicale, que de montrer que l’expérience musicale, lorsqu’elle est créatrice, sécrète un potentiel de transformation : du réel, de l’écoute, mais aussi de soi. Pour rentrer plus en détail dans des enjeux que Véronique Verdier partage avec divers compositeurs (en effet) contemporains, nous accueillons la philosophe en compagnie de deux compositeurs qu’elle a interrogé dans le cadre de son enquête : Jean-Luc Hervé et Philippe Leroux grâce auquel cette émission a pu être enregistré dans les studios de l’IRCAM.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #171 – Emerger

« Un autre monde est possible », annonçait un candidat de gauche. Dans un autre temps, un candidat de droite promettait : « Ensemble tout devient possible ». Au-delà des camps, il est bien naturel pour les prétendants au pouvoir de vouloir rendre possible un monde nouveau. Sur ce, les militants ardents espèrent qu’ils arriveront un jour, pendant que des musiciens peuvent sembler se tenir à l’écart quand ils se réfugient à la table de travail de compositions solitaires qui, à bien les examiner, n’œuvrent pas moins certainement à réunir les conditions les plus favorables pour faire émerger des mondes sonores nouveaux. D’ailleurs, il suffirait par là-dessus que des philosophes se mêlent à la discussion pour désigner les concepts à l’œuvre de part et d’autre et mieux dessiner un horizon commun entre les aspirations utopiques des musiques qui cherchent à faire émerger du nouveau et les configurations intellectuelles qui permettre de penser un autre monde possible. C’est bien dans cette intention que Metaclassique réunit cette semaine, dans l’espace musique de la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou : le compositeur Geoffroy Drouin qui a fait paraître, en 2017 aux éditions Delatour, l’ouvrage Émergence et dialectique en musique et deux chercheurs : la philosophe Haud Guéguen et le professeur en sciences politiques Laurent Jeanpierre qui publient, en 2022 aux éditions La Découverte, La perspective du possible.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #170 – Barrer

Sur les partitions musicales, le signe de la double barre de mesure signifie qu’une séquence ou qu’un morceau se termine. Symbole de fin, la double-barre peut aussi servir à marquer un nouveau début, un changement de régime et, pourquoi pas, devenir l’emblème d’un mouvement révolutionnaire. C’est ce que vous propose d’explorer les étudiants de la classe de culture musicale du CNSMD de Lyon. Dans ce numéro « Barrer » de Metaclassique, ils vous proposent une fiction radiophonique qui imagine comment une prise d’indépendance de leur institution par rapport à l’Etat français pourrait conduire à des questions concrètes : comme par exemple, la constitution qui devra réorganiser les liens entre les départements, l’annexion de la Saône qui sépare le bâtiment principal de celui où les cours de danse sont dispensés, l’indépendance alimentaire du conservatoire complètement autogéré – autant de questions de démocratie archi-locale qui pourraient métaboliser un débat musicologique jusque-là sous-investi, comme : faut-il préférer les simples ou les doubles barres de mesure ? Par ordre d’apparition, vous entendrez donc : Nathan Magrecki, Irène Hontang, Cassandre BB et Esther Bry, mais encore les étudiantes, étudiants et quelques professeurs du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon interpellé sur l’autonomie nouvelle de l’établissement – avec la complicité du Centre Culturel de Rencontre d’Ambronay qui a pu accueillir les doubles barristes dans le cadre d’une session spéciale conçue et animée par l’écrivain et meta-médiateur Joël Kerouanton.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #169 – Mixer

(c) Nelson Castro

Au moment du mixage, on ne manque pas de régler la balance entre les instruments. On vise le bon niveau de gain qu’il faut donner à la clarinette pour qu’elle se loge au plus juste dans le son du piano, par exemple. Ce faisant, on touche au contour de l’alliage des timbres en présence. Et, pendant qu’on y est, on ne devrait pas se priver de mettre un filtre sur tel instrument, d’en retravailler le spectre harmonique et de ne pas se priver des possibilités technologiques offertes par les recherches électroacoustiques. Investie dans toute la force quasiment alchimique qu’elle peut prendre, l’étape du mixage peut devenir tellement déterminante que le compositeur Denis Levaillant a très tôt installé, chez lui, tout le matériel nécessaire pour mixer ses disques à domicile. Pour documenter ses échanges avec son ingénieur du son, Metaclassique a tendu ses micros de l’autre côté de la console en captant une séance de mix avec Denis Levaillant et Pierre Jacquot dans le studio personnel du compositeur.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #168 – Cheminer

(c) Samuel Gratacap

Pour faire connaissance avec un compositeur, nous pourrions faire un entretien, une sorte de portrait. Au lieu de quoi, avec le compositeur Bastien David, nous avons décidé de faire ensemble du chemin. Parce qu’avant de faire le projet d’une émission, nous avons d’abord passer un pacte : nous donner rendez-vous 24 fois, à des heures chaque fois différentes. Alors que nous en sommes à une dizaine de rendez-vous enregistré, vous entendrez dans l’heure qui vient un parcours qui chemine entre une rencontre impromptue dans un TGV à 18 h, une discussion enregistrée à 4 heures du matin, le 14 juillet dernier, près des Tuileries, entrecoupée d’une répétition en milieu de journée avec les percussionnistes de la compagnie les Insectes en résidence à l’Abbaye de Royaumont pour terminer par une promenade au Bois de Boulogne quelques jours plus tôt à 16 h. Dans ce chemin, tout commence ici par le troisième rendez-vous du pacte : un rendez-vous au tout début de l’année 2021, sur la Butte Montmartre à Paris, à 5 heures du matin.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #167 – Incomprendre

Franco Donatoni

« Selon l’hypothèse des rebonds réciproques entre les termes de la correspondance, on peut imaginer que l’erreur provient d’un conséquent antérieur, dans lequel la séparation présumée entre matière sonore et détermination formante se serait produite ; ladite erreur pourrait donc consister en la certitude même que la séparation s’est produite, une certitude découlant d’un acte d’affirmation volontaire d’attitudes actives tendant à la réussite. »

Voilà une phrase qui semble compréhensible, qui ne l’est peut-être pas pleinement, mais qui l’est donc en partie ou en fonction des reconfigurations que le lecteur est bien en droit d’entamer. Cette phrase est extraite de la traduction en français d’un livre composé en italien par le compositeur Franco Donatoni et publié, en 1970, sous le titre Questo.

Si ce texte est réputé à la limite de l’incompréhensible, c’est qu’il y a au moins deux zones qui bordent cette limite : une limite interne où l’on est au bord de ne plus rien comprendre tout en comprenant encore un peu quelque chose au point d’être possiblement excité à l’idée de comprendre ce qu’on n’avait jusque-là jamais eu l’occasion de saisir, une limite externe où l’on ne comprend plus vraiment tout en sentant respirer le désir de saisir un début d’au-delà du compréhensible. Alors que les éditions Aedam Musicae font paraître en 2022 « ça » – la traduction française de Laurent Feneyrou de Questo de Donatoni, Metaclassique a proposé aux forces vives du master Arts théorie et pratiques de l’ENS d’en imaginer une adaptation radiophonique.

Entre quasi-incompréhension, dé-compréhension ou post-mé-compréhension, vous allez entendre les créations de Alice Hoggett, Cloé Calame, Cléo Grousset, Elise Gérardin, Thibault Gaillard, Auriane Landon, Barnabé Geufroi, Adonis Lagarias, Capucine Porphire et Rémy Giaccobo.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Avec l’aimable autorisation de Laurent Feneyrou et des éditions Aedam Musicae.

Metaclassique #166 – Errer

Interpeller un musicien juif sur la part d’errance qu’il peut y avoir dans sa musique, c’est forcément stéréotypé, c’est au moins à moitié faux et très pleinement réducteur. Mais comme l’héritage est là, dans sa force et sa beauté, il reste qu’une histoire d’errance se raconte quand même – et mérite donc de se réfléchir à la fois avec et au-delà des seules questions d’héritage. Alors, pour évoquer l’errance, nous recevons le compositeur David Achenberg et le violoniste Ami Flammer. L’un préfère largement parler de mouvement que d’errance alors que l’autre trouve justement de grandes réjouissances à errer et penser l’élaboration de sa musique comme une errance.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #165 – Dédire

Opéra Les Oiseaux Walter Braunfels Création française Nouvelle production de l’OnR.

Evelpidès demande au geai : « Est-ce tout droit que tu me dis d’aller, du côté où l’on voit cet arbre ? » En guise de réponse, Pisthétéros qui tient une corneille, s’exclame : « La peste te crève ! La voilà qui me croasse de revenir en arrière ! » Si les deux amis, Evelpidès et Pisthétéros ne se parlent plus directement, c’est qu’ils ont tous les deux pris la décision de se détourner du langage humain pour suivre là où les oiseaux pourront les mener. Ainsi commence Les Oiseaux, une comédie d’Aristophane donnée aux Grandes Dionysies en 414 avant l’ère commune qui a donné lieu à des déclinaisons modernes. L’Opéra national du Rhin a ainsi donné, début 2022, la création française de l’opéra Les Oiseaux que le compositeur Walter Braunfels avait fini de composer en 1920. Alors que les cinéastes Graeme Thomson et Silvia Maglioni ont sorti, en 2019, le film Common birds qui transpose Les Oiseaux d’Aristophane dans la Grèce d’aujourd’hui, celle du surendettement. Pour articuler les motifs qui portent Evelpidès et Pisthétéros à dédire, à sortir le langage humain en suivant les oiseaux, vous entendrez au cours de cette heure de Metaclassique : le directeur de l’opéra national du Rhin, Alain Perroux, la cantatrice qui interprète le rôle du Rossignol, Marie-Eve Munger, mais aussi les cinéastes Graeme Thomson et Silvia Maglioni.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #164 – Vocaliser

Pendant que les instrumentistes font des gammes pour apprendre à dompter les difficultés techniques par toutes sortes de combinaisons classées par ordre de difficulté, les chanteurs se prêtent à des vocalises pour gagner en virtuosité. Dans un Nouveau dictionnaire de musique de 1855, Charles Soulier définit le verbe Vocaliser comme l’action de « Chanter selon les règles de la méthode vocale, mais sans nommer les notes et sans y adapter d’autres paroles que les voyelles sonores[1]. » Mais la frontière entre l’exercice et la musique est franchie quand on commence à mettre des paroles à ces vocalises. Et alors que les gammes ne se donnent pas en concert, les vocalises peuvent basculer de la démonstration vocale et même devenir des morceaux de musique interprétés par… des instrumentistes. Pour faire l’histoire de ce genre qui n’en a pas toujours été un et qui ne demande pas forcément à le rester, Metaclassique reçoit cette semaine Justin Ratel : étudiant en musicologie au CNSMD de Paris, il s’intéresse à l’histoire de la vocalise et il a sollicité la pianiste Marianne Leu pour accompagner quelques vocalises et prêter sa voix aux citations des pédagogues qui ont jalonné cette histoire. Mais pour pousser la vocalise de départ, on a choisi Pavarotti.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.


[1] Charles Soulier, Nouveau dictionnaire de musique illustré, élémentaire, théorique, historique, artistique, professionnel et complet : à l’usage des jeunes amateurs, des professeurs de musique, des institutions et des familles, Paris, E. Bazault, 1855, p. 381.

Metaclassique #163 – Parler

A pister les réactions du cerveau face à de la musique, on a pu relever que ce ne sont pas les mêmes parties qui réagissent que devant un discours. Même si elles ont toutes sortes de liaisons entre elles, les zones du cerveau stimulées par la musique et par la parole sont différentes. Manière d’accuser physiologiquement le fait que la parole n’est pas tout à fait un chant comme les autres. Parler étant donc une alternative à chanter, il reste à pister ce que le parlé peut faire de tellement spécifique dans un opéra ou auprès d’une musique. Pour déplier un éventail de situation assez ample, Metaclassique a invité la musicologue Michela Niccolai qui vient avec Maria Encina Cortizo, de publier aux éditions Brepols, un ouvrage collectif intitulé Singing Speech and Speaking Melodies* avec un ensemble d’études sur le théâtre musical des 18 et 19è siècles, mais aussi le compositeur Pierre-Yves Macé dont l’écriture musicale s’attache à suivre les plis mélorythmiques de documents collectionnés par L’Encyclopédie de la parole, et le poète Luc Bénazet qui, au moment de dire ses textes en musique, fait subir aux syntagmes des opérations qui réveillent elles aussi un sujet dont nous débattons pendant une heure en public, dans l’espace musique de la Bibliothèque publique d’information au Centre Pompidou.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel.

Metaclassique #162 – Compter

Tom Johnson - Despatin & Gobeli
Tom Johnson- Despatin & Gobeli

Depuis que l’on élabore des gammes, depuis qu’on pense les sons dans des rapports de hauteur, il n’y a donc plus de musique sans nombre. De là à dire que c’est, par les nombres, que la musique est rattachée à l’ordre du monde, il y aurait un saut spéculatif que tous les compositeurs ne font pas, même quand ils recourent ouvertement aux mathématiques pour faire de la musique. Quand bien même un compositeur attribuerait la perfection des mathématiques au créateur, le musicologue qui analyse ses partitions ne serait pas forcément d’accord sur ce point. Surtout que le compositeur dont nous allons parler aboutit souvent à des situations qui, en plus, ont quelque chose de très drôlse. Depuis les années 1980, toutes les musiques imaginées par le compositeur Tom Johnson suivent des principes empruntés aux mathématiques. Mais au lieu de faire une musique mathématique, il est sûrement plus évident que Tom Johnson fait de la musique logique. C’est d’ailleurs l’adjectif choisi par le musicologue Gilbert Delor qui a fait paraître une monographie sur l’œuvre du compositeur. Pour ce numéro, Metaclassique a donc installé ses micros chez Tom Johnson pour le mettre en dialogue avec Gilbert Delor.

Une émission produite et réalisée par David Christoffel, avec la complicité de l’ensemble Dedalus et des Instants Chavirés.

TOM JOHNSON OU LA MUSIQUE LOGIQUE, Gilbert Delor - livre, ebook, epub